Neufchatel 13 Janvier 1766, N. 16
. . .A présent je vais vous parler de moi et de Mr de V: Je crois vous avoir parlé des Lettres à l'occasion des miracles, que je recevois sans savoir de qui.
Mad: Cramer de Lon, que je connois depuis l'année 1757 m'envoya les précédentes que je lui demandai, et nôtre correspondance se réveilla. Comme elle connoit beaucoup V:, je profitai de l'occasion pour lui parler de nos lamas et de leurs productions en y joignant mes remarques, bien sûr que tout cela seroit communiqué à l'auteur des Lettres, et c'est ce que je voulois. J'espérois qu'il profiteroit de tout cela pour assommer nos Prêtres et cela est arrivé. Outré contre cette race, le ton dont j'en ay parlé dans ma correspondance, a persuadé à V: avec beaucoup de raison que je verrois volontiers tous ces gens démasqués et couverts de ridicules. J'ay supposé tout cela, et voici sur quoi. On continuoit régulièrement à m'envoyer les Lettres à mesure qu'elles paroissoient et depuis quelque tems elles rouloient sur nos affaires. Enfin la 18me me parvint il y a peut-être 15 jours, avec un billet dont voici la copie:
Quoiqu'il ne s'agisse pas dans cette 18e Lettre de l'Eloquent Mr Montmolin cependant comme il est question des Prêtres qui sont infiniment chers à Mr du Peyrou, ainsi qu'à tous les honnêtes gens, on a cru lui faire plaisir de lui adresser cette petite homélie. Si d'ailleurs Mr du P: a de la bonne volonté pour ces Messieurs, et s'il veut s'amuser à faire imprimer secrètemt trois ou quatre cents Exemplaires d'un ouvrage utile, s'il connoit quelque imprimeur qui pût travailler secrètement, et ne retenir aucun Exemplaire pour lui, il seroit supplié en ce cas de faire le marché; on payeroit très exactement. On le prieroit de vouloir bien faire porter toutes les feuilles chez lui en sûreté; on feroit ensuite présent de l'ouvrage à tous les gens qui auroient de la Vocation. C'est à Mr du P: à voir s'il veut rendre ce service au genre humain; en ce cas, il n'auroit qu'à envoyer ses ordres à Mr Misoprist chez Mr Souchay Négociant à Genève. Mr Misoprist lui présente ses très humbles obeïssances, 28 xbre 1765.
Je répondis à Mr Misoprist pour lui dire que des deux Imprimeurs que nous avions ici l'un est un pédant tout à fait livré à la compilation de son Mercure, et à la dévotion des Prêtres, l'autre, un homme de bonne composition, mais fort gêné, qui se chargeroit de faire imprimer ailleurs, &c. &c. Sur quoi j'ay reçu mercredy passé avec la 20e lettre, une réponse par où l'on me mande avoir remis au Carosse de Berne un manuscrit en toile cirée, dont je ferois l'usage que je voudrois, en le remettant à un Imprimeur sous la seule condition d'en livrer 24 Exemplaires pour moi et 24 pr Mr Misoprist. Le Billet est trop long pour le copier. Mais il décèle Mr Misoprist, et me fait conclure que ce Mr Misoprist est V: Je lui ay répondu samedi une assez longue lettre, dans laquelle je lui indique les productions de nos Prêtres sur lesquelles je lui proposerois lui dis-je, de jetter un coup d'œil s'il avoit du tems à perdre ou quelque rude pénitence à faire. Je lui indique fort au long la citation tronquée que Bergeon a faite d'une de vos notes, et tout ce qui peut faire sortir l'infidélité et l'impudence du personnage. Après quoi j'ajoute: ‘Pardon, Mr pour ces détails. Mais je suis indigné des armes dont ces monstres ont fait usage pour soulever leurs troupeaux imbécilles contre un homme de bien protégé par les Loix et par le Souverain de cet Etat. Vous pouvez, Mr, ne pas aimer cet homme, mais aimez la Vérité et la Liberté, et dès qu'elles sont attaquées, même dans la personne d'un Ennemi, toute animosité personnelle doit céder et cède en effet au grand intérêt de la Société.’
Voilà, mon cher Citoyen, l'Histoire de ma Correspondance, avec qui? sans doute ce ne peut être que V: qui se masque sous le nom de Misoprist. Ce qui peut avoir donné lieu à ce que l'on a écrit de Genève, ce sont les envoys des Lettres que j'ay reçues sans savoir d'où elles me venoient. Ce n'est que depuis les deux billets reçus que je soupçonne l'auteur de ces Envois. Si je pouvois le voir accabler nos Prêtres, et vous vanger de ces misérables, je serois content! J'y travaille de tout mon coeur et j'attends avec impatience ce que ma dernière lettre produira. Je n'ay pas encore reçu le manuscrit. Je me réjouis de le lire. Ce nom de Misoprist veut-il dire quelque chose? Je ne suis pas assez savant pour le décider . . . .