17 7bre 1765
Mes divins anges, je vois bien que je ne connaissais pas encore ce public inconstant que je croyais connaître.
Je ne me doutais pas qu'il dût approuver avec tant de transports ce qu'il avait condamné avec tant de mépris. Vous souvenez vous qu'autrefois lorsque Vandôme disait à la dernière scène, Es tu content Coucy? les plaisants répondaient coussi, coussi? J'ai retrouvé ici dans mes paperasses, deux tragédies d'Adelaïde; elles sont toutes deux fort différentes, et probablement la troisième qu'on a jouée à la Comédie diffère beaucoup des deux autres. Je fais toujours mon thème en plusieurs façons. Il est à croire que le Kain fera imprimer à son profit cette Adelaïde qu'on vient de représenter; mais je pense qu'il conviendrait qu'il m'envoyât une copie bien exacte, afin qu'en la conférant avec les autres je pusse en faire un ouvrage supportable à la lecture, et dont le succès fût indépendant du mérite des acteurs. C'est sur quoi je vous demande vos bons offices auprès de le Kain, car je vous demande toujours des grâces.
A l'égard des roués, j'attends toujours votre paquet et vos ordres; le petit jésuite a sa préface toute prête, mais il dit qu'il ne faut pas s'attendre à de grands mouvements de passion dans un triumvir, et que cette pièce est plus faite pour des lecteurs qui réfléchissent que pour des spectateurs qu'il faut animer. Il sait de plus que le pardon d'Octave à Pompée ne peut jamais faire l'effet du pardon d'Auguste à Cinna, parce que Pompée a raison et que Cinna a tort, et surtout parce que ceux qui sont venus les premiers ne laissent point de place à ceux qui viennent les seconds.
Je sais bien que j'ai été un peu trop loin avec mlle Clairon, mais j'ai cru qu'il fallait un tel baume sur les blessures qu'elle avait reçues au fort L'Evêque. Elle m'a paru d'ailleurs aussi changée dans ses mœurs que dans son talent; et plus on a voulu l'avilir, et plus j'ai voulu l'élever.
J'espère qu'on me pardonnera un peu d'enthousiasme pour les beaux arts. J'en ai dans l'amitié, j'en ai dans la reconnaissance.
Je vous fais, mes divins anges, les plus sincères remerciements de la bonté que vous avez eue de me procurer des éclaircissements de la part de mr de Ste Foi. Je n'ose l'en remercier lui même, de peur de l'engager à une réponse qui lui ferait perdre un temps précieux; mais je me flatte que quand vous le verrez vous voudrez bien l'assurer des sentiments que je lui dois. Je me doutais bien que ce m. De Bareau était un homme nécessaire au ministère par ses connaissances.
Je soupçonne que la place de résident à Genêve est actuellement donnée in petto, par m. le duc de Praslin. Je ne vous avais proposé m. Astier qu'en supposant que m. le duc de Praslin le favorisait, mais je ne serai pas assez effronté pour demander à mr le duc de Choiseul qu'il force la main au ministre des affaires étrangères; je dois être modeste dans mes sollicitations, et tout ce que j'ose demander actuellement pour m. Fabry, maire de la ville de Gex, c'est que je puisse l'assurer de votre protection.