1765-07-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon cher et ancien ami, vous êtes en amitié pire que les mauvais chrétiens ne sont dans leurs dévotions; ils les font une fois l'an, et vous n'écrivez qu'une fois en deux ans.
Si c'est vôtre asthme qui vous a rendu si paresseux j'en suis encor plus fâché que si l'indifférence seule en avait été cause, car quoique je fusse très sensible à vôtre oubli je le suis encor d'avantage à vos maux. Je croiais que vous étiez guéri pour avoir vu Tronchin. Tâchez de n'avoir plus besoin de médecins, on vit et on meurt très bien sans eux. Il y a bientôt trois ans que je n'ai parlé de ma santé au grand Docteur; elle est détestable, mais je sais souffrir. Un homme qui a été malade toute sa vie, est trop heureux à mon âge d'éxister. J'espère que je verrai bientôt l'aimable et vrai philosophe dont les amigdales vont si mal. C'est une des plus grandes consolations que je puisse recevoir dans ma vie languissante.

Je ne peux guères consulter actuellement l'esprit des loix; j'ai le malheur de bâtir, je suis obligé de transporter toute ma bibliothèque. Vous voulez parler apparemment de la police municipale qui parait si favorisée dans le nouvel édit que mr De L'Averdy a fait rendre. Tout le sistème de mr le marquis d'Argenson roule entièrement sur cette idée. On ne connaissait pas le mérite de mr D'Argenson, qui était un éxcellent citoien. Un édit conforme aux opinions de ces deux hommes d'Etat ne peut manquer d'être bien accueilli. Il me semble que les provinces en sont extrèmement contentes. Il n'en est pas ainsi du petit libelle contre nôtre Archimède. Le peu d'éxemplaires qui en sont parvenus à Genêve ont été reçus avec la même indignation et le même mépris qu'à Paris. Les temps sont bien changés; les philosophes d'aujourd'hui écrivent comme Pascal, et les jansénistes comme le père Garasse.

J'ai chez moi actuellement un jeune homme qui promet beaucoup, c'est mr De Laharpe, auteur de Warvick. Je souhaiterais bien qu'il eût autant de fortune que de talents. Il aura de très grands obstacles à surmonter, c'est le sort de tous les gens de Lettres.

Adieu, quand vous vous porterez bien, et qu'il y aura quelque ouvrage qui soit digne que [vous en] parliez, n'oubliez pas vôtre vieil ami dans sa retraitte.

V.