1765-06-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je ne sçais, mon digne et vertueux ami, si je vous ai mandé que la femme de Sirven est morte, en prenant, comme Calas, Dieu à témoin de son innocence.
La douleur a abrégé ses jours. Le père est au désespoir. Celà ne nous empêchera pas de faire toutes nos diligences pour fournir au généreux Mr de Beaumont toutes les pièces nécessaires.

Je suis toujours malade auprès de Mr Tronchin, mais quand je serais à la mort, je ne négligerais pas de servir une famille si infortunée.

J'ai reçu vos Lettres du 29 may et du 31, mais je n'ai pu encor démêler si vous avez reçu par mr Gaudet la lettre que L'écrel'inf vous adressa le 22e. Je vous supplie de vouloir bien faire parvenir à Mr Briasson le petit mémoire cy joint. Je serais curieux d'avoir les ouvrages que l'abbé Bazin a donnés de son vivant. C'était un homme qui écrivait dans un stile un peu précieux, à peu près dans le goût de l'histoire de la philosophie de Deslandes. Briasson est fort au fait de tous ces livres râres, et il pourait me les faire tenir. Je vous serai très obligé de lui recommander de les faire chercher dans la librairie.

Plusieurs lettres parlent avec beaucoup d'éloge du sermon de mr L'archevêque de Toulouse, à l'ouverture de l'assemblée du clergé. Cette modération, et cette douceur doivent plaire beaucoup au roi dont il seconde la sagesse.

J'ai chez moi l'auteur de Warwick, il va faire une tragédie tirée de l'histoire de France; mais il est à craindre qu'il ne lui arrive la même chose qu'aux bûcherons qui prétendaient tous recevoir une cognée d'or, parceque Mercure en avait donné une d'or à un de leurs compagnons pour une de bois. Les sujets tirés de l'histoire de son païs sont très difficiles à traitter. Je lui donnerai du moins mes petits conseils, et ne pouvant plus travailler, je tâcherai d'encourager ceux qui se consacrent au métier dangereux des Lettres; il ne m'a jamais produit que des chagrins. Je souhaitte aux autres un sort plus heureux.

Je vous embrasse, mon cher ami, avec la plus grande tendresse. Mandez moi surtout comment va vôtre gorge.