Monseigneur,
Il y a deux mois que l'on remit entre mes mains un manuscript plein d'esprit & de raison, qui justifie contre un Ecrivain sot & injuste, la gazette Littéraire protégée par vous: je fûs d'autant plus empressé à publier ces observations, qu'outre le plaisir que je crûs faire à tous les honnêtes gens, on m'assûroit que c'étoit un moyen de vous faire ma Cour.
L'Edition de ce petit ouvrage, partit pour Paris il y a trois semaines, & il y a environ quinze jours que j'eus l'honeur de vous en addresser deux exemplaires par la poste.
Si, depuis l'envoy de ce Manuscript à Genêve, les choses ont changé; si on a fait satisfaction aux Auteurs de la gazette; si vous avés désiré en conséquence que ce petit ouvrage ne parût pas; je suis au désespoir de n'avoir été informé que longtems après le départ du ballot; j'aurois été aussi empressé à satisfaire vôtre délicatesse, que je l'aj été à faire connoitre un livre qui sembloit être un hommage rendu à vous-même. La Lettre que reçeut l'autre jour Monsieur de Montperoux me montre que l'on s'est trompé, ou que l'on m'a trompé, lors qu'on m'a remis ce manuscript, comme un ouvrage que vous connoissiez: le zèle de nôtre Conseil pour tout ce qui vient de vôtre part luy a causé un moment d'allarmes très vives. J'ai donné le livre à examiner à nos principaux Magistrats; ces Messieurs ont été agréablement surpris de n'y voir qu'une justification sage d'un papier public qui se débite dans l'Europe sous le sceau de vôtre approbation.
Je vous suplie de croire Monseigneur, que sans entrer dans les motifs qui vous ont déterminé à désirer la suppression de cet ouvrage, j'en aurois fait le sacrifice moj-même, sans hésiter, & avec grand plaisir, si vous aviez daigné m'instruire de vos volontés. Un cytoyen de Genêve, lié au Gouvernement & qui aime sa patrie, a un titre de plus que tout autre honnête homme, pour chérir vôtre administration & chercher à vous plaire.
Agréez Monseigneur, mes regrets, mes vœux, & le profond Respect avec lequel j'aj l'honneur d'être
Vôtre très humble & très obeïssant serviteur
Cramer l'ainé, du Grand Conseil
Genêve le 1er Juin 1765
Je prends la liberté de joindre ici les dernières pages du manuscript; la première partie s'est égarée chez l'Imprimeur.