1765-04-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Protecteur de l'innocence, vainqueur du fanatisme, homme né pour le bonheur des hommes, je crois que vous avez toutes les pièces nécessaires pour agir en faveur de la pauvre famille Sirven que vous voulez bien prendre sous vôtre protection.
Vous avez je crois au bas de la sentence du juge du village, l'extrait de l'arrêt du parlement de Toulouse autentiquement certifié sur papier timbré. Vous savez que ces arrêts par contumace s'appellent délibérations dans la langue de Oc, et ce mot délibération doit se trouver au bout de vôtre pancarte. Sirven a perdu par cette avanture tout son bien qui consistait dans un fonds de dixneuf mille francs, outre quinze cent livres de rentes net, que lui valait sa place. Voilà toute une famille expatriée, couverte d'opprobre et réduite à la plus cruelle misère. Le procez qu'on lui a fait me parait absurde, l'enlèvement de sa fille affreux, la sentence un attentat contre la justice et contre la raison. S'il s'agissait de comparaître devant tout autre tribunal que celui de Toulouse, j'enverrais cette malheureuse famille se remettre à la discrétion de ses juges naturels, mais je crains que les juges de Toulouse ne soient plus ulcérés que corrigés. Qui peut répondre que sept ou huit têtes échauffées ne se vengeront pas sur les Sirven du triomphe que vous avez procuré aux Calas? J'attends votre décision. Je voudrais que vous puissiez sentir à quel point je vous révère, je vous admire et je vous aime.

Mille respects à vôtre digne compagne.

V.

Je reçois dans ce moment, Monsieur, vôtre Lettre pour moi, et le paquet pour les Sirven. Je vais envoier chercher cet infortuné père. Son malheur ne lui [a] peut être pas laissé assez de netteté dans l'esprit pour répondre catégoriquement à toutes les questions que vous pourez lui faire. Nous tâcherons cependant de vous fournir des éclaircissements. Quelque tournure que prenne cette affaire, elle ajoutera bien des fleurons à vôtre couronne. Vous êtes trop bon, d'avoir bien voulu répondre au petit mémoire à consulter sur une maison. Je vous en remercie tendrement. L'affaire fut accommodée dès que j'eus envoié mon mémoire. Les Juifs qui faisaient ces étranges difficultés n'osèrent pas les soutenir, et les principaux intéressés n'ont pas balancé un moment à faire tout ce qui était convenable. Vôtre nom est tellement en vénération dans ce païs cy, qu'on n'oserai[t] pas faire une chose désaprouvée par vous.