1765-03-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Mon cœur est pénétré, mon cher philosophe, de vos démarches pleines d'amitié, et je ne les oublierai de ma vie.
Les Calas ne sont pas les seuls immolés au fanatisme; il y a une famille entière du Languedoc condamnée pour la même horreur dont les Calas avaient été accusés. Elle est fugitive dans ce païs cy. Le conseil de Berne lui fait même une petite pension. Il sera difficile d'obtenir pour ces nouveaux infortunés la justice que nous avons enfin arrachée pour les Calas après trois ans de soins et de peines assidues. Je ne sais pas quand l'esprit persécuteur sera renvoié dans le fonds des enfers dont il est sorti, mais je sais que ce n'est qu'en méprisant la mère qu'on peut venir à bout du fils; et cette mère, comme vous l'entendez bien, est la superstition. Il se fera sans doute un jour une grande révolution dans les esprits. Un homme de mon âge ne la verra pas, mais il mourra dans l'espérance que les hommes seront plus éclairés et plus doux. Personne n'y pourait mieux contribuer que vous; mais en tout païs les bons cœurs et les bons esprits sont enchainés par ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre.

Mes respects, je vous en suplie, à Mr et Made De Freüdenreich. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

V.