Paris ce 12 Mars 1765
Monsieur,
J'ai reçu vos lettres du 27 Fév. et 4 Mars.
Mr Suard m'a aussi remis les brochures que vous lui avés adressé, dont je vous remercie.
Je ne suis point content des dispositions des esprits. Si les C. et B. n'ont demandé que quatre articles, ils n'ont pas renoncé à celui du droit négatif, ils semblent vouloir enlever au Gouvernement plume après plume, se servir des concessions qui leur seront faites, comme de moiens pour en obtenir de nouvelles, et, si, à la fin, le Conseil fait ferme sur le droit négatif, ils soutiendront ce point comme si on ne leur eût rien accordé d'ailleurs, et il leur faudra une indemnité, au lieu que, si l'on eût traité tout à la fois, les cessions n'auroient pas été en pure perte. Aureste, je ne vois les objets que de loin, et désire fort de me tromper.
J'ai remercié S. E. Mr le Duc de Praslin, suivant mes ordres. J'attend avec impatience votre réponse au Mémoire des Curés, que j'espère recevoir dans la semaine, par le canal de Mr de Sainte Foy.
Le procès des Calas fut jugé définitivement samedi par les Requêtes de l'hôtel, au souverain. Les quatre accusés, et la Mémoire du Père Calas, déchargés de l'accusation. Quant à leur Requête on demande de prendre les Juges à partie, le Tribunal (ne se croiant pas compétent) renvoie les Calas à se pourvoir par telles voies qu'ils estimeront convenable. L'écroue biffée par tout, et l'Arrêt, qui les réhabilite, mis en marge. L'Arrêt imprimé et affiché par tout, à la diligence du Proc. gal et aux fraix du Roi. Arrété qu'il sera écrit de la part du Tribunal à Mr le Vice chancelier, 1. Pour recommander cette famille aux bontés du Roi. 2. Pour lui représenter l'abus qui règne encor dans quelques Provinces, où l'on fait subir aux Accusés des interrogatoires, apelés briefs intendits.
L'on m'a assuré qu'il y avoit un troisième chef, savoir de demander la supression de la fête et procession, mais je n'en suis pas certain.
Le Public réuni voudroit qu'on pendit les Juges de Toulouse et que l'on rouât le Capitoul, mais celuici fera peutêtre encor le mal de mourir, car c'est de lui que l'on pourroit espérer des dommages et intérêts.
Vous voiés, Monsieur, que la réparation est aussi ample qu'elle peut l'être, et que la qualité de Protestans n'a point empêché qu'on leur rendit justice, ni diminué l'intérêt que chaque individu de Paris leur a témoigné, Celui que notre Ville y a pris rend excusable le détail dans le quel je suis entré. J'ai cru, en soutenant ces pauvres gens, rendre un très grand service à tous les Protestans qui vivent en France, et je vous assure que ce n'est pas sans beaucoup de peine, que cette affaire, dont j'ai eu constamment la principale direction, a été amenée à bien.
J'ai l'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Crommelin