1765-02-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, j'ai lu une partie de ce Pluquet.
Cet homme est ferré à glace sur la métaphisique; mais je ne sais s'il n'a pas fourni un souper dont plusieurs plats seraient assez du goût des Spinosistes. Je voudrais bien savoir ce que les D'Alemberts, les Diderot pensent de ce livre.

La destruction doit être partie ou partira à la fin de cette semaine. Je ne suis pas éxactement informé, trois pieds de neige interrompent un peu la communication. Je crois que cette neige refroidira les esprits de Genêve qui étaient un peu échauffés; on disputera, mais il n'y aura point de guerre civile.

Je crois que j'ai très bien pris mon temps pour me tirer de la cohue, et pour me défaire des Délices, d'autant plus que mon bail était fini, et que je ne l'avais pas renouvelé. Un Mr Labat qui avait dressé les articles du contract, me fesait quelques difficultés, comme vous l'avez pu voir. Ces difficultés ont dû vous paraître extraordinaires, aussi bien que le contract même. On ne ferait pas de tels marchés en France. Celui là est plus juif que calviniste.

Je me flatte que tout s'accomodera à l'amiable, et beaucoup plus facilement que les affaires de Genêve. Messrs Tronchin qui sont mes amis m'y aideront; mais je serai toujours bien aise d'avoir le sentiment de Mr Elie de Beaumont au bas de mes petites questions. J'attends avec impatience son mémoire pour les Calas. Voilà un véritable philosophe, il venge l'innocence oprimée; il n'écrit point contre la comédie; il n'a point un orgueil révoltant; il n'est point le délateur de ceux dont il aurait dû être l'ami et le deffenseur. Le cœur me saigne de deux grandes plaies, la première que Rousseau soit fou, la seconde que nos philosophes de Paris soient tièdes. Dieu merci vous ne l'êtes pas. Vous m'avez glissé deux lignes dans vôtre lettre du 12e fév: qui font la consolation de ma vie.

Je soupçonne que le paquet de Franche Comté est tombé entre les mains des barbares. Il faut mettre cette petite tribulation aux pieds du crucifix. Je me recommande à vos saintes prières. J'entre aujourd'hui dans ma soixante et douzième année, car je suis né en 1694, le 20e fév. et non le 20e 9bre comme le disent les commentateurs mal instruits. Me persécuterait-on encor dans ce monde à mon âge! Celà serait bien Welche. Je me flatte aumoins qu'on ne me fera pas grand mal dans l'autre. Je vous embrasse bien tendrement. Ecr: L'Inf: