10 décembre [1764]
Il faut, ou que vous n'ayez pas reçu mes lettres, par la négligence de mon palefrenier qui a oublié de les affranchir, ou que vous vous souciez bien peu du sang de votre sang, de la chair de votre chair, des os de vos os.
Je suis ici dans l'île de Circé, sans être ni aussi fin, ni aussi brave, ni aussi sage, ni aussi cochon, qu'Ulisse & ses compagnons. Lausanne est connue dans toute l'Europe par ses bons pâtés et la bonne compagnie. Je vis dans une société que Voltaire a pris plaisir de former, & je cause un moment avec les écoliers, avant d'aller écouter le maître. Il n'y a pas de jour, où je ne reçoive des vers, & où je n'en rende; pas un où je ne fasse un portrait & une connaissance; pas un, où je ne prenne une tasse de chocolat le matin, suivie de trois gros repas: enfin, je m'amuse au point de vous souhaiter à ma place.
Voici quelques uns de mes impromptus.
Une fois j'envoyai à une dame de Gentil un portrait du diable avec des cornes & une queue; elle demanda à quel propos?
Une autre fois deux autres femmes, revenaient du prêche, & me demandaient ce que j'avais fait pendant ce temps là;
Je vais après demain à Ferney où Voltaire m'attend. Il m'a écrit une lettre charmante. Je me réjouis de vous parler de lui. Vous avez mieux pris votre temps que moi, pour le voir; mais, on boit le vin de Tockai jusqu'à la lie. Surtout, assurez bien le roi, que je ne reviendrai point déiste.
Adieu, maman, je vous aime, comme on admire le roi dans ma romance pour la fête.
J'oublie de vous dire quatre bouts rimés que j'ai remplis dans l'ordre suivant.
Adieu, encore une fois, je vous écrirai de Ferney des choses plus intéressantes.