31e auguste 1764 à Ferney
J'eus une belle allarme ces jours passés, Monseigneur, pour vôtre commandant de Guienne.
J'envoiai de mon lit dont je ne sors guères, savoir des nouvelles de la brillante santé que Tronchin lui avait promise, il venait de recevoir ses sacrements, et de faire son Testament. La raison de cette opération soudaine la voicy.
Tronchin l'a condamné à ne manger que des légumes, des carottes et des fèves cuittes à l'eau; Monsieur, a dit Mr Le Duc De Lorges, je ne peux digérer votre galimafrée, elle me fait enfler le devant et le derrière. On lui a appliqué les sangsues pour le derrière, et on lui a fait la ponction pour le devant; les vents out redoublé de fureur, mais les sacrements ont un peu appaisé la tempête, et il est actuellement hors de danger. Mr le Duc de Randan son frère, et Mr le Duc de La Trimouille sont arrivés avec vingt officiers; Made Denis veut absolument leur donner la comédie, je vais recevoir mes sacrements aussi pour avoir une raison valable, de ne point faire le baladin à soixante et dix ans.
J'apprends dans ce moment la mort de Mr D'Argenson, et j'en suis plus touché que de celle de l'empereur Ivan, parce qu'il était plus aimable. Il va se racommoder avec Made De Pompadour, car ils ne pouvaient bien vivre ensemble que dans l'autre monde.
J'ai le ridicule de m'intéresser à l'élection d'un roi de Pologne, mais je crains fort que l'avanture du prince Ivan, suposé qu'elle soit vraie, n'empèche Mr Poniatoski, favori de l'Impératrice, d'être élu roi comme il s'en flattait. On prétend qu'il y aura un peu de trouble au fond du nord, pendant que mon héros fait règner la paix et les plaisirs dans son beau duché D'Aquitaine. Continuez cette douce vie, et daignez vous ressouvenir avec bonté de vôtre vieux courtisan redevenu aveugle, qui vous présente son tendre et profond respect.