Ce 28 décembre [1763]
J'ay ouy dire du mal de la tolérance, mais à peu de monde, j'en ay ouy dire beaucoup de bien, et aux gens les plus éclairés.
J'ay voulu la lire sans prévention ny pour l'auteur, ny pour les différentes façons de penser, et j'en ay été enchanté. On veut le trouver très dangereux; je le trouve très édifiant, c'est le rudiment de la morale, de la politique, et de la vertu, et si j'avois des enfans, je les ferois inoculer et leur feroit aprendre ce livre par cœur. Je vous avoue cependant que je me serois fort bien passé de la lettre au père le Tellier. Je ne la crois pas d'une grande utilité, elle ne présente que des tableaux qui sont trop honteux pour l'humanité, et elle ne regarde que des gens qui ne sont plus à craindre, du moins d'icÿ à longtemps. J'exécuteray votre commission avant de cacheter ma lettre et vous manderay ce que m'aura répondu mr de Choiseuil.
J'ay reçu ce qui plait aux dames. Qu'on est heureux d'être l'auteur d'une aussi jolie petitte histoire! mais qu'on est plus heureux encor quand on peut en être l'acteur! Vous en avez envoyé une autre qu'on dit charmante, c'est dit-on un tribut que vous payerez touttes les semaines à la société; tant mieux sans doutte, mais les recevrai je toujours le dernier?
J'ay vu votre victime de l'intolérance, j'ay causé quelques temps avec luy mais je ne peux luy être util dans ce moment cy. J'ay gardé son mémoire, et si je peux trouver l'occasion d'en faire usage, je ne la négligeray pas, et vous en rendray compte sur le champs.
Je suis fouré tout au beau milieu des nouvelles querelles de Mr de Lauraguais. Il revient cette semaine, je cherche à luy rendre service. S'il veut bien suivre mes avis, on peut le tirer du pas le plus critique et luy sauver le poids humiliant de la honte et du ridicule, mais s'il se laisse aller à la fureur de faire imprimer un factum contre sa femme et sa famille, je ne pouray plus me mesler de ses affaires.
Adieu, vous connoissez toutte mon amitié, soyez bien sûr que rien ne peut l'altérer.
Mr de Choiseuil a des raisons pour ne pas vouloir dans ce moment cy que vous m'adressiez sous son adresse un paquet de tolérance. Vous voyez que vous n'avez pas encor converti tout le monde, ou du moins qu'on n'ose pas l'avouer. Envoyez moy cependant pour moy personnellement, tout ce que vous ferez ou que vous croirez persuader que les autres auront fait. Un petit paquet n'effrayera pas, et de plus il trouvera bon quand ce sera pour moy seul, et que cela poura contribuer à mon édification.