1763-09-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je reçus hier les ordres de mes anges, concernant la conspiration des roués, et j'envoie sur le champ tous les changements qu'ils demandent pour les assassins et assassines.
Il faut assurément que mr le duc de Praslin ait une âme bien noire, pour vouloir qu'une femme égorge son mari dans son lit; mais puisque mes anges ont eu cette horrible idée, il la faut pardonner à un ministre d'état. Mettez le feu aux poudres de la façon qu'il vous plaira, faites comme vous l'entendrez; mais ne me demandez plus de vers, car vous m'empêchez de dormir, et je n'en peux plus; laissez moi, je vous prie, ce vers,

L'ardeur de me venger ne m'en fait point accroire.

Il ne faut pas toujours que Melpomène marche sur des échasses; les vers les plus simples sont très bien reçus, surtout quand ils se trouvent dans une tirade où il y en a d'assez forts. Racine est plein à tout moment de ces vers que vous réprouvez. Une tragédie n'aurait point du tout l'air naturel, s'il n'y avait pas beaucoup de ces expressions simples, qui n'ont rien de bas ni de trop familier.

Divertissez-vous, mes anges, de la niche que vous allez faire. Je ne sais s'il faut intituler la pièce le triumvirat; le titre me ferait soupçonner, et on dirait que je suis le savetier qui raccommode toujours les vieux cothurnes de Crebillon. Cependant, il est difficile de donner un autre titre à l'ouvrage. Tirez vous de là comme vous pourrez. Tout ce que je puis vous dire, c'est que cette pièce ne sera pas du nombre de celles qui font répandre des larmes; je la crois très attachante, mais non attendrissante. Je crois toujours qu'Olimpie ferait un bien plus grand effet, elle est plus majestueuse, plus auguste, plus théâtrale, plus singulière; elle fait verser des pleurs toutes les fois qu'on la joue; et les comédiens de Paris me paraissent aussi malavisés qu'ingrats, de ne la pas représenter.

Permettez que je mette dans ce paquet des affaires temporelles avec les spirituelles: voici un petit mémoire pour mr le duc de Praslin, en cas que mon affaire sacerdotale ne soit pas encore rapportée. Nous lui devons bien des remerciements mad. Denis et moi, de la bonté qu'il a eue de se charger de ce petit procès, qui était d'abord dévolu à mr de st Florentin. Il est vrai que cette affaire, toute petite qu'elle est, étant fondée sur les traités de nos rois, appartient de droit aux affaires étrangéres; mais j'aime encore mieux attribuer la peine qu'il daigne prendre, à l'amitié qu'il a pour vous, et aux bontés dont il honore mad. Denis et moi.

Comme je prende la liberté de lui adresser votre paquet, je suppose qu'il se saisira du mémoire qui est pour lui; il est court, net et clair, point de verbiage.

Pour un esprit de sa trempe

N'allongeons point en cent mots superflus
Ce qu'on dirait en quatre tout au plus.

Qu'est ce que la défaite des Bernardins? Cela est il plaisant?

Respect et tendresse.

V.