1763-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Rousseau.

Croiez, Monsieur, que je suis très sensible aux peines que vous éprouvez, c'est assez le sort des gens de Lettres d'éssuier des injustices; je pourais vous en parler sçavamment si j'avais de la mémoire.
Je n'ai pas eu besoin de mon expérience pour être touché de vos chagrins. Mais, comme je vous l'ai déjà mandé, n'étant instruit qu'en général, je n'ai pu parler qu'en général; on m'a répondu de même; on m'a mandé que vous aviez promis de ne point porter vôtre journal ailleurs, on m'a fait entendre que vous aviez des dettes dans le païs où vous êtes. J'ai sçu qu'on protêgeait infiniment les deux personnes à qui l'on fait partager avec vous une partie du produit de vôtre établissement; que vous aviez à faire à un homme qui demeure dans la maison, et au frère d'un colonel fortement recommandé. Je vois avec douleur que les Lettres d'un vieux malade comme moi, très peu connu du seigneur châtelain, ne font pas un grand éffet sur des esprits prévenus et qui semblent avoir pris leur parti.

Mais quoi! n'avez vous pas parlé vous même? n'avez vous pas représenté vos droits? ne pouvez vous pas être le maître d'un établissement que vous avez formé? n'êtes vous pas libre? Je suis assez malheureux pour ne pouvoir vous donner que des conseils vagues, et pour n'emploier que de vaines sollicitations. Je suis pénétre du tort qu'on vous fait, comme si on le faisait à moi même. Soyez persuadé, Monsieur, de mon attachement très sincère, et très inaltérable.