1763-03-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, l'illustre frère qui daigne tant aimer Brutus, me paraît avoir suppléé par sa brillante imagination à ce qui manque à cette pièce.
Je ne peux en conscience lui en savoir mauvais gré. Un tel suffrage et le vôtre sont d'une grande consolation. Je me souviens que dans la nouveauté de cette pièce, feu Bernard de Fontenelle et compagnie prièrent l'ami Thiriot de m'avertir sérieusement de ne plus faire de tragédies. Ils lui dirent que je ne réussirais jamais à ce métier là. J'en crus quelque chose; et cependant le démon du théâtre l'emporta. Parlez en à frère Thiriot, il vous confirmera cette anecdote, car il a la mémoire bonne.

Je vous renouvelle mes félicitations sur le succès des Calas. J'ai appris une des raisons du jugement de Toulouze qui va bien étonner votre raison.

Ces visigoths ont pour maxime que quatre quarts de preuve, et huit huitièmes, font deux preuves complètes, et ils donnent à des ouï-dire le nom de quarts de preuve et de huitièmes.

Que dites vous de cette manière de raisonner et de juger? Est il possible que la vie des hommes dépende de gens aussi absurdes? Les têtes des Hurons et des Topinamboux sont mieux faites.

Pour notre ami Pompignan les preuves de son ridicule sont complètes. Je vous répète que cet homme serait bien dangereux s'il avait autant de pouvoir que d'impertinence. Je sais de très bonne part qu'il ne vint à Paris que dans le dessein de se faire valoir auprès de la cour en persécutant les philosophes. Les quarts de plaisanterie qui sont dans la relation du voyage de Fontainebleau, et les huitièmes de ridicule dont l'hymne est parsemé, seront pour lui un affublement complet. Cet homme voulait nuire, et il ne fera que nous réjouir.

Vous m'avez promis quelques articles de l'encyclopédie, je les attends comme les articles de mon symbole.

Buvez, mes très chers frères, à la santé de votre vieux frère

Voltaire