1763-01-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Je ne vous écris point de ma main, mon cher Président, parceque je suis malingre à mon ordinaire, mais mon cœur vous écrit; il est pénétré de vos bontés.
Je vois qu'il vous est dû quelque argent, que vous avez bien voulu avancer pour moi. J'ai mandé à mon banquier de Lyon, mr Camp, de vous le faire rembourser par son correspondant de Dijon. Pour moi, je vous rembourse par mille remerciements.

Vous m'avouerez qu'il est plaisant qu'un Parlement dise à un autre parlement, nous chasserons les Jésuites si vous prenez nôtre parti. Ne trouvez vous pas que c'est là rendre une justice impartiale! Si les Jesuites sont intolérables par leurs constitutions, leurs maximes et leur conduite, faut-il faire son marché pour les juger?

Je suis très instruit de la conduite de David et d'Absalon. Je trouve le jugement des arbitres assez raisonnable, quoi qu'il ait un peu passé les bornes de son pouvoir.

Je conseille très fort à nôtre ami, de s'en tenir à ce jugement, et de finir pour jamais une chose si désagréable. Je vous prie même de l'engager à ce léger acquiescement qui fera son repos. Il sera honorable pour lui de céder un peu de ses droits, et de ne pas paraître traitter son fils à la rigueur. Ecrivez lui, je vous en conjure, la Lettre la plus forte. Les meilleurs magistrats doivent faire dans leurs intérêts personnels, ce que les meilleurs médecins font dans leurs maladies, ils consultent d'autres médecins.

Je me mêle peu du temporel de Corneille, je ne suis que pour le spirituel. Je crois qu'il y a dans vôtre capitale de Bourgogne un libraire correspondant des Cramer pour les souscriptions; c'est tout ce que j'en sçais.

Je vous remercie de vôtre nouvelle liste: je vois avec grand plaisir que le nombre, et le mérite de vos académiciens augmente tous les jours; c'est vôtre ouvrage, et je n'en suis pas étonné.

Malgré les neiges qui me gèlent et une bonne fluxion sur les deux yeux, je vous dirai que celuy qui se proposait pour épouser melle Corneille était mr de Cormont, capitaine de cavalerie, fils du commissaire des guerres de Chalons. Je donnais une dot honnête, mais le commissaire ne donnait rien du tout; et la raison sans dot n'a pas réussi.

Je vous embrasse bien tendrement.

V.