1762-09-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Chrysostome de Larcher, comte de La Touraille.

Je vous félicite, monsieur, sur les deux dernières victoires que m. le prince de Condé vient de remporter.

Les héros de sa maison se sont tous fait une habitude de vaincre. Ils ont été successivement la terreur & la gloire de leurs souverains.

Quand reviendrez-vous à Paris? Je vous aimerais autant à l'hôtel de Condé, qu'à la poursuite du prince héréditaire.

Vous m'avez l'air, monsieur, de penser un jour comme un de vos devanciers, attaché à un autre grand Condé, qu'il se lassa d'accompagner dans ses dernières campagnes.

Autant que je m'en souviens, voici de petits vers qu'il fit en se retirant dans ses terres. Je les tiens d'un intime ami de feu s. a. s. m. le duc.

Ces vers sont très bons pour un militaire; le héros, tout héros qu'il était, en connaissait le prix. Cela prouve, du moins, que l'âge amène quelquefois la sagesse . . . . . . ..

Je laisse mon illustre maître,
Insatiable de lauriers;
Philosophe autant qu'on peut l'être,
Je vais mourir dans mes foyers,
Où, traînant ma faible vieillesse,
Dont je sens déja le fardeau,
J'irai, conduit par la paresse,
Occuper mon petit tombeau.
Je suis las du bruit que vous faites,
Dieu des combats, terrible Mars,
Et sans tambours & sans trompettes,
Je vais quitter vos étendards
Pour aller dans ma solitude,
Au lieu de foudres entouré,
Commencer ma béatitude,
Près de mon paisible curé,
Qui s'en tenant à son bréviaire,
Doux, charitable & point cafard,
Ne recommande, à tout hasard,
Que l'aumône & que la prière, &c.

Vous vous plaignez de votre santé, monsieur; c'est bien à vous d'en parler à un homme qui attend la mort dans son lit de douleur, tandis que vous courez la chercher sur des champs de bataille.

Dans tous les cas, appelez à votre secours la bonne philosophie qui soutient le faible & qui console le malade.

Mais j'ose à peine prononcer le mot de philosophie; tant de gens sont payés pour la craindre & pour la combattre, qu'on ne sait à qui l'on parle.

Vous me paraissez, monsieur, digne d'en sentir & d'en prouver les avantages. Recevez, avec vos habituelles bontés pour moi, le respectueux hommage du vieux malade.