8 septembre [1749]
Je commence, monsieur, par le plus pressé, c'est pour vous marquer la joie que j'ai d'apprendre mme la marquise Du Châtelet débarrassée de son fardeau: Platon aurait eu beau lui donner des ailes, Pujos ou Bourgeois en ce cas en savent plus que lui, et la voilà enfin rendue à Newton ou plutôt à elle même.
Je suis bien flatté de vous avoir plu, c'est le prix véritable du travail de toute la vie qu'un pareil suffrage…. Mais vous n'êtes donc pas de mon avis, mon cher confrère, sur l'avantage qu'a notre histoire par dessus toutes les autres. Chirac disait que la petite vérole ne se gagnait point pour empêcher que la peur ne la donnât, et je pourrais bien avoir donné la préférence à l'histoire de France pour engager à la lire. Mais j'avoue que c'a été de bonne foi que je l'ai mise au dessus de tout…. Mais je ne vois rien, en regardant avec des yeux philosophiques, qui m'impose assez dans les plus beaux temps de Rome pour diminuer dans mon esprit l'opinion que j'ai des grands hommes de notre France et de ce qu'ils ont fait, Charlemagne, Philippe Auguste, Hugues Capet, Charles v, le sage Charles v, et dans des temps plus voisins cette foule de héros qui désolèrent les malheureux règnes de François II, Charles IX, etc. Ce n'étaient point des marionnettes que Louis 1er , prince de Condé, que Claude et François de Guise, que l'amiral Coligni; ils jouèrent sur un plus petit théâtre, à la toise, que Sylla et César, mais leurs actions étendent l'espace…. Vous avez vos raisons pour regretter les grands théâtres, car c'est le seul avantage que Virgile a sur vous, et je sens bien qu'il est plus merveilleux de chanter un descendant de Vénus que le fils d'Antoine de Bourbon. Estimons les choses par leur valeur intrinsèque: la logique de Port-Royal, qui n'a que quelques pages, vaut des bibliothèques entières et il y avait dans m. de Turenne de quoi faire une douzaine de Romains. Quel ressort il faut qu'il y ait dans la tête et dans le cœur d'un homme né dans une monarchie pour atteindre à un républicain que rien ne gêne et qui n'a qu'à se laisser aller. Coligni, le grand Condé, faisant la guerre à leurs rois, me semblent égaux aux vainqueurs de Mithridate et de Carthage et à tous les Sylla et Marius possibles….
Vous me parlez encore de Catilina; mais m. d'Argental à qui j'en ai parlé plusieurs fois me répond toujours qu'il l'attend: ainsi ce n'est pas notre faute si nous ne l'avons pas examiné. Croyez que nous y apporterons l'examen le plus sérieux, et ne doutez pas que vous ne receviez de nous des critiques très réfléchies et très rigoureuses. L'opinion que nous avons de vous et l'intérêt que nous prenons à votre réputation, qui est devenue la nôtre, nous rendra aussi difficiles que vous devez le désirer.