1762-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Il y a Monseigneur une prodigieuse différence comme vous savez entre vous et votre chétif ancien serviteur.
Vous êtes frais, brillant, vous avez une santé de général d'armée, et je suis un pauvre diable d'hermite accablé de maux et surchargé d'un travail ingrat et pénible. C'est ce qui fait que votre serviteur vous écrit si rarement. Je me flatte bien que notre doyen a fait l'honneur à l'académie de luy présenter notre dictionaire. Je le crois fort bon. Ce n'est pas parce que j'y ai travaillé, mais c'est qu'il est fait par mes confrères.

Je vous exhorte à voir le droit du seigneur qu'on a sottement appellé l'éceuil du sage. On dit qu'on en a retranché beaucoup de bonnes plaisanteries, mais qu'il en reste assez pour amuser le seigneur de France qui a le plus usé de ce beau droit. Si vous veniez dans nos déserts, vous me verriez jouer le bailli, et je vous assure que vous recevriez madame Denis et moy dans la trouppe de sa majesté.

On dit qu'on a donné des étrennes aux sots. Assurément ces étrennes là ne vous sont pas dédiées, mais s'il fallait envoyer ce petit présent à tous ceux pour qui il est fait il n'y aurait pas assez de papier en France.

Je vous avertis que mademoiselle Corneille est une laidron extrêmement piquante et que si vous voulez jouir du droit du seigneur avant qu'on la marie, il faut faire un petit tour aux Délices. Mais malheureusement les Délices ne sont pas sur le chemin du bec Dambraye.

Je crois Luc extrêmement embarassé. Vous savez qui est Luc. Cependant il fait toujours de mauvais vers, et moy aussi.

Agréez mon éternel et tendre respect.

V.