1761-05-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Gaspard Fabry.

Il est bien doux, mon cher Monsieur, d'être servi si à point nommé, par un ami aussi bienfaisant et aussi éclairé que vous l'êtes.
Vos bons offices sont plus chers à madame Denis et à moi que le procêdé d'un promoteur très ignorant n'est odieux. Il s'est conduit d'une manière qui mérite d'être réprimée par le Parlement. Il a osé déffendre au nom de L'Evêque aux habitans de Ferney de s'assembler et de délibérer selon l'usage, au sujet de leur Eglise.

Tous les habitans sont venus aujourd'huy nous trouver d'un commun accord. La convocation s'est faitte en règle. Ils ont dressé par devant Notaire, un acte, par lequel ils ratifient la convention de leur Sindic, et du curé avec Made Denis et Moi. Ils désavoüent tout ce qui s'est pû faire et dire, contre le dessein le plus nôble, et le plus généreux; ils aprouvent tout, et nous remercient de nos bontés.

Ils ont déposé de l'insolence du promoteur qui a pris sur lui de leur deffendre de s'assembler.

Le curé s'est joint à nous par un acte particulier.

Mallet de Genêve, qui est un très méchant homme, est l'unique cause de cette levée de bouclier. C'est lui qui avait éxcité deux ou trois séditieux du Village à s'aller plaindre au Promoteur, et à se soulever contre leur Syndic, contre leur curé, et contre nous. Ces séditieux pour couvrir leur délit, ont signé aujourd'huy l'acte d'aprobation comme les autres; nous envoions toutes ces pièces au parlement, et nous nous mettons, Le curé, la communauté, et le seigneur et Dame de Ferney sous la protection de la cour, contre les entreprise du promoteur d'un Evêque savoyard, qui n'est pas roy de France. Nous requerrons dépends, dommages et intérêts, contre ceux qui nous ont troublé dans la fabrique de nôtre Eglise, ou plutôt dans la réparation d'icelle, et qui nous coûtent plus de mille Ecus.

Nous nous flattons d'aprendre aux Prêtres, qu'ils ne sont pas les maîtres du Royaume.

Je rends compte à Mr le Duc de Choiseuil, de cet attentat des officiers d'un Evêque étranger.

Nous vous réïtérons, Monsieur, ma nièce et moi nos très humbles et très tendres remerciements; nous comptons sur vôtre amitié, comme sur vôtre zèle pour les droits des Citoyens, et nous nous souviendrons toute nôtre vie du service que vous voulez bien nous rendre.

J'ai L'honneur d'être, Monsieur, avec L'attachement le plus inviolable, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur.

Voltaire