1761-04-07, de [unknown] à Voltaire [François Marie Arouet].
Respectable viellard, vers qui mon cœur soupire,
Il n'appartient qu'à vous de planter des forêts,
De défricher des champs, d'élever des palais,
De manier La faulx, La Truelle et La Lyre.
J'aime Homere, Sophocle, Ovide, Anacréon:
Mais on ne Les vit pas autour de La charuë
Suspendre utilement La sonde et L'écobüe
A côté de La Lire et du Luth d'Apollon.
Voltaire est bien plus grand. Voltaire mon modèle
De L'utile et du beau s'occupe tour à tour.
Tous Les goûts ont rempli son âme universelle.
Il est de L'univers et L'exemple et L'amour.
Vivez pour son bonheur, o mon auguste père!
Les dieux, Les justes dieux connaissent nos besoins.
Sur vos prétieux jours ils étendront Leurs soins.
Ils savent qu'icy bas vous êtes nécessaire.
De La Commune Loy patriarche excepté,
Vous vivrez neuf cent ans. Je ne sais quel grimoire
D'un vieux roy de Salem a consacré L'histoire:
Cette fable pour vous deviendra vérité.

Votre charmante épitre à Madame Denys me fut renduë, Monsieur, dans Le moment que j'allais monter en carosse pour venir icy. Cette belle retraite est pour moy ce qu'était pour vous celle de Cirei. Moins éloignée du Lac de Geneve, elle m'offrirait tout ce que je désire. Je Lisais hier au soir Tancrede à Mde de Maulevrier; elle fondait en Larmes et vous accusait de barbarie. Ah! madame! Luy dis-je; il meurt et vous pleurez: voilà sa réponse. Nous devons commencer aujourd'huy La Henriade. Œconomes de nos plaisirs, nous n'en Lirons qu'un chant. Viendront ensuite vos tragédies, et Le reste. Je suis furieux contre Le relieur dont L'étourderie nous prive de ce qui est contenu dans Le 5e, 6e et 7e volume de La collection dont vous m'avez honoré. Je fais chercher partout une pucelle, et jusqu'à présent Les recherches ont été vaines. S'il en existait une dans Les montagnes que vous habitez, nous vous serious très obligés de nous en avertir. Il y a quelque tems qu'on m'en adressa une, soi disant telle; mais je dois vous avouër que plusieurs de ses traits ne me rapellèrent pas La délicatesse des vôtres.

Mr de Maulevrier, tout occupé du bonheur de posséder une jolie femme, pleine d'esprit et d'agréments, ne L'est pas plus que vous et moy des choses de ce monde. Il est sûr qu'il vous doit, je crois, 2000 écus, mais à quel titre? il L'ignore. Je Luy ai lu Le premier article de votre Lettre; il en est pénétré. Vous obligerez, Monsieur, Le plus vertueux citoyen que je connaisse, Le meilleur, c'est à dire Le plus vrai de mes amis.

J'ay demandé Le sujet de poësie proposé par L'académie française pour Le mois d'août prochain. Peut-être m'amuserais-je à Le traiter, s'il me plait. Trouveriez vous bon, monsieur, que je vous fisse passer ce petit ouvrage? auriez vous assez de tems à perdre pour L'honorer de votre critique, plus flatteuse pour moy que La palme Littéraire?

Lorsque vous écrirez à Mr d'Alembert, je vous prie, Monsieur, de L'assurer que je ne suis ni un Chaumeix, ni un Guion. J'avais eus recours à Luy pour L'acquisition du dictionaire enciclopédique; il me répondit très Laconiquement que cette aquisition était impossible, et que Les éditeurs travaillaient à donner Les planches, où aparemment on ne trouverait pas d'hérésie. Je ne m'en plains pas. J'ay le malheur d'avoir un titre suspect; mais Chaulieu Le portait, et Chaulieu fut votre ami.

Adieu, Monsieur. Vous vivez entre Madame Denys et Mademoiselle Corneille; vous êtes Le plus beau génie de votre siècle; vous êtes riche; vous éprouvez La volupté de faire des heureux; si vous ne l'êtes pas, je Le répète, il faut renoncer au bonheur. Puissiez vous toujours travailler au mien en ne m'oubliant pas dans La distribution de vos bienfaits! Nous attendons La suite du czar Pierre avec beaucoup d'impatience.

J'ay L'honneur d'être avec Les sentiments de La plus vive admiration, Monsieur, votre Très humble et Très obéissant serviteur

L' . . . d LT.

On me marque que quelqu'un ayant demandé dernièrement à Fréron pourquoy il vomissait tant d'invectives contre Le petit nombre des vrais philosophes, il avait répondu: elles me valent mille écus. C'est L'histoire de L'abbé Desf. . . .