aux Délices 5e fév: 1761
Monsieur,
Si le vent est moins violent Dimanche, je vous prie à diner à deux heures précises; nous viendrons à Ferney exprès pour vous; vous ne devez pas douter de mon amitié, et je compte sur la vôtre.
L'affaire du marais sera très aisée à arranger, elle est très importante.
Mon malheureux parent qui est paralitique depuis un an, ne l'est que pour être allé à la chasse, auprès de ce marais pernicieux; on a enterré il y a un mois à Ferney, un jeune homme que la même cause avait réduit au même état; un de mes gens a été grièvement malade; tous les bestiaux qui paissent auprès de ce lieu infecté sont d'une maigreur affreuse. Vous sçavez que le village de Magny est désert; ce marais fait tous les jours des progrès, et s'étend jusques dans mes terres. La négligence impardonnable des habitans et des seigneurs des environs, mettra enfin la contagion dans une province déjà assez malheureuse. J'en ai rendu compte à mr le controlleur général, et au premier médecin du Roy, qui a trouvé la chose très sérieuse. Je vous ai demandé, Monsieur, pour commissaire dans cette partie. Je suis très persuadé que vous vous joindrez à nous avec tout le zèle que vous avez pour le bien public. Quelque parti qu'on prênne, je serai très content, pourvu que le marais soit désséché au printemps. Tout doit être sacrifié au bien du païs, et tout le sera sans doute, puisque vous avez la bonté d'entrer dans cette opération absolument nécessaire. Nous vous présentons madame Denis et moi, nos très humbles obéïssances; soyez persuadé Monsieur, que c'est avec les sentiments les plus vrais, et l'attachement le plus sincère, que je serai toute ma vie
Vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire