à Ferney pays de Gex par Geneve 31 Xbre 1760
Les plus aimables et les plus difficiles de tous les anges c'est vous, monsieur et madame.
Si vous n'êtes pas contents de Maturin qui nous parait assez plaisant et tout neuf; si vous avez la cruauté de l'appeler vieux, quoy que je sois prest à luy donner trente ans; si vous voulez que Collette en soit amoureuse (ce que je ne voulais pas) si vous avez l'injustice de soutenir que le marquis et Acante ne s'aimaient pas depuis 14 mois, quoyqu'ils disent formellement le contraire, et peutêtre assez finement; si vous n'êtes pas édifiez de voir un sage qui parie de ne pas succomber, et qui perd la gageure; si vous n'aimez pas un débauché qui se corrige; si vous ne trouvez pas le caractère d'Acante très original; je peux être très fâché, mais je ne peux ny être de votre avis, ny vous aimer moins.
Je vous supplie mes chers anges, de me renvoyer les deux copies, c'est à dire la première qui n'était qu'un avorton, et la seconde que je trouve un enfant assez bien formé, qui vous déplait.
Madame d'Argental est bien bonne de daigner se charger de faire un petit présent à la muse limonadière. Je l'en remercie bien fort. C'est la seule façon honnête de se tirer d'affaire avec cette muse.
Je suis très fâché que Fréron soit au Fort l'évèque. Touttes les plaisanteries vont cesser; il n'y aura plus moyen de se moquer de luy.
L'ami des hommes est donc à Vincennes? Ses ouvrages sont donc traittez sérieusement! Il aurait donc quelquefois raison! Il m'a paru un fou qui a beaucoup de bons moments.
Il court parmi vous autres de singulières nouvelles; est il vray que les Anglais ont proposé de vous réduire à n'avoir jamais que vingt vaisseaux? c'est à dire à en construire encor dix ou douze? On ajoute une paix particulière entre Luc et Térese; quand je la croirai, je croiray celle des jansénistes et des molinistes, des parlements et des intendants, et des auteurs avec les auteurs. J'apprends que Mrs de parlement brûlent tout ce qu'ils rencontrent, mandements d'évêques, vieux et nouvau testament de frère Berruier, ouvrages de Salomon, deffense de la morale du bon Jesu, contre la morale du dur Moyse, c'est à dire la réponse à l'auteur de l'oracle des philosophes; ils brûleront bientôt les édits du dit seigneur Roy; mais je les avertis qu'ils n'auront pour eux que les halles, et point du tout les pairs et les princes.
Je vois touttes ces pauvretez d'un œil bien tranquile aux Délices et à Ferney. La petite Corneille contribue beaucoup à la douceur de notre vie. Elle plait à tout le monde; elle se forme, non pas d'un jour à l'autre, mais d'un moment à l'autre. Ne vous ai-je pas mandé combien son petit gentil esprit est naturel, et que je soupçonnais que c'était la raison pour laquelle Fontenelle l'avait déshéritée? Mes chers anges permettez que je prenne la liberté de vous adresser ma réponse à la lettre que son père m'a écritte, ou qu'on luy a dictée.
Praut ne m'enverra t'il pas son Tancrede à corriger? Quand jouera t'on Tancrede? Pourquoy la femme raison, partout, hors à Paris? Esce parce que Wasp en a dit du mal? Wasp triomphera t'il? Comment vont les yeux de mon ange?
V.
Eh vraiment j'oubliais la meilleure pièce de notre sac, l'avanture de ce bon prêtre, de ce bon directeur, de ce fameux janséniste jadis laquais qui a volé 50 m.lt à made d'Egmont? Mtre Omer le prendra t'il sous sa protection? Requere t'il en sa faveur?