à Gex Le 29 juillet 1760
J'ay L'honneur, Monsieur, de vous renvoyer les mémoires et Lettres de M. de Voltaire contenant les moyens qu'il emploit pour se deffendre en qualité de possesseur actuel par bail à vie de La terre de Tournay, de paier les frais d'une procédure Criminelle instruite par Les officiers du bailliage de Gex au mois d'octobre dernier Contre Le nommé Penchaud, suisse de nation, à Cause des excès par luy Commis à la Perrière, lieu de sa résidence, sur le nommé Pierre Cadis, savoyard: après avoir vériffié avec la plus scrupuleuse attention La prétention de M. De Voltaire, je suis demeuré convaincu qu'elle est effectivement fondée: Par un traitté d'échange fait Le 7 aoust 1539 entre Mrs de Berne pour lors souverains du pais de Gex et Le sr De Champion, seigneur de La Batie, cette terre fut bornée du Côté du Levant au grand chemin de Suisse à Geneve.
Il fut Convenu que ce Chemin demeureroit sous La juridiction de La Baronnie de Gex. Ces faits sont certains. Le titre est entre mes mains. Il n'est pas moins Constant que la terre de Tournay a été depuis démembrée de celle de la Batie. La preuve en est acquise par Le Contract de vente qui en fut passé par Claude Decrose à Jean De Brosses Le 4 avril 1538. Par Conséquent son étendue du Côté du Levant doit être également Limitée par Le grand Chemin et La pièce de terre et maison appellée La Perriere, Lieu du délit en question, étant situé en delà de ce Chemin sur le bord du Lac de Geneve, elle n'est, n'y peut être une dépendance de cette terre. Ce raisonnement est sans réplique. M. Le Président De Brosses en Convient, il observe seulement que les officiers de Tournay ont faits des actes de justice à La Perriere, mais il est évident que C'est sans aucun droit puisqu'il est prouvé par un certifficat des sindics et Conseils de Geneve en datte du 11 de ce mois que j'ay L'honneur de vous adresser que La République de Geneve a toujours eu sur ce Lieu omnimode juridiction, Laquelle elle a ceddée à S.M. par Le traité de 1749. Il est donc Constant que ce n'est point à M. de Voltaire à paier Les frais de La procédure dont il s'agit; reste à sçavoir qui Les paiera ou de S. M. ou de Mgr Le Comte de La Marche, seigneur engagiste de Gex; il paroit que c'est à S. M. d'autant que La Perriere ne fait aucunemt partie des terres engagées à S. A. S. et que S. M. en aquérant La juridiction sur ce Lieu par le traité de 1749 est entré dans tous Les droits de La République de Geneve, et conséquement tenue d'acquitter Les Charges aux quelles ils sont sujets. Cela est d'ailleurs d'autant plus juste que si avant 1749 le Cas qui se présente, étoit arrivé, C'auroit été au sr Borssat, avocat à Gex, juge des terres de St Victor et Chapitre, à en prendre Connoissance et à Mrs de Geneve à paier Les frais du Procès, encore que La Perriere se seroit réellement trouvée enclavée dans Les Limites de La terre de Tournay. Il est hors de doute, Monsieur, que tels étoient les droits de Mrs de Geneve sur toutes Les terres de Leur directe tant dans le pais de Gex qu'en Savoye. Ils les ont Conservés en Savoye jusques au traité qu'ils ont faits avec Le Roy de Sardaigne au mois de juin 1754 mais il n'en est pas de même dans Le pais de Gex. Ils n'exerçoient plus de juridiction avant Le traité de 1749 que sur le village de Moens et je ne Crois pas qu'ils pussent raporter quelques actes de justice faits par leur juge dans la maison de La Perriere, mais Leurs droits n'en sont pas moins réels, ils Les ont Constament réclamés, se sont plaints des entreprises qu'on y a faittes, ils les ont rapellé et fait valloir dans La négotiation du traité, et en ont enfin fait Cession à sa Majesté.
De mes vériffications voilà, Monsieur, Le résultat. Il est à propos maintenant de vous faire Connoitre à quoy montent Les frais qui font L'objet des vives et pressantes représentations de M. De Voltaire. Je me suis fait Communiquer à cet effet par le Greffier du Bailliage tous Les éxécutoires qui ont été rendus tant par le parlement de Dijon que par le Lieutenant Criminel de Gex, il me Les a Confié, et je ne Balance point à vous les adresser, persuadé qu'ils ne s'égareront point entre vos mains, et que vous voudrez bien me Les renvoyer en Cas que Ceux au profit des quels ils sont décernés en ayent besoin, ce que je ne présume pas ne doutant point que sur Le Compte que vous allez rendre de cette affaire, M. L'intendant ou M. Le Controlleur Général n'ordonne Le paiement des frais dont il s'agit sur Le Domaine de Sa Majesté. Comm'il y a déjà fort Long tems que cette affaire est indécise, et que Ceux aux quels ces frais sont dus souffrent d'un si Long retard, je ne peux trop vous prier d'accélérer Le plus qu'il vous sera possible.
J'ay L'honneur d'être avec un respectueux attachement, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur
Fabri