1760-07-07, de Charles Palissot de Montenoy à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous voulez donc absolument, monsieur, être l'écolier des encyclopédistes; mais savez vous qu'ils ont bien assez d'orgueil pour vous prendre au mot?
Oh! vous sentez que je suis trop loin de vouloir jamais penser comme eux, pour vous en croire sur votre parole.

M. Did . . . vous paraît innocent: à la bonne heure, monsieur, je ne m'y oppose pas. C'est pourtant encore une chose dont vous persuaderez difficilement le public. Au reste, je peux dire tout comme vous, je ne le connais point, je ne l'ai jamais vu; mais je dirai ce que vous ne voulez pas dire. Je l'ai lu, je ne l'entends point, je doute qu'il s'entende lui même, & il m'ennuie.

Je n'ai jamais senti questa rabbia della gelosia. Nous courons, messieurs les encyclopédistes & moi, une carrière bien différente. Ils compilent, compilent, compilent. Moi, je fais de petits vers pour m'amuser, & je lis les vôtres pour m'instruire.

Qu'est ce qu'un Abraham Chaumeix, à qui vous faites jouer un si grand rôle, qui donne des mémoires à tant de gens, & qui (dites vous) pourrait bien m'en avoir donnés? Le pauvre diable! Il est bien loin de se soupçonner tant de malice. Hé! quoi, monsieur,

L'insecte insensible enseveli sous l'herbe

ne peut même vous échapper?

Est ce pour m'intéresser que vous me représentez ces pauvres philosophes sub gladio? Est il bien vrai qu'on les persécute? On vous trompe assurément, monsieur. Des gens qui s'appellent eux mêmes les législateurs du monde, les réformateurs de leur siècle, les tuteurs du genre humain, & dont on ne fait que rire, ne feront accroire à personne qu'ils soient persécutés. N'ont ils pas d'ailleurs la ressource de jeter de temps en temps quelques vérités au peuple, pour lui apprendre à respecter les philosophes?

Molière, il est vrai, ne reprocha ni à Cotin, ni à Ménage d'enseigner une morale perverse. C'est qu'ils n'avaient jamais fait de traité de morale; j'avais eu l'honneur de vous le dire.

Je ne m'attendais plus, monsieur, à être accusé de vouloir rendre m. Dalembert odieux, après la manière dont je m'étais expliqué avec vous sur mon compte.

Je conviens que mon imprimeur, ou mon copiste, ont eu tort de faire une méprise, & de lui imputer un passage qui n'est pas de lui. Mais qui vous l'a dit, monsieur, que ce passage n'était pas de lui? Moi même, qui ai corrigé de ma main cette faute dans l'exemplaire que j'ai pris la liberté de vous envoyer.

C'est encore moi qui, sur le même exemplaire vous ai fait l'aveu qu'un autre passage attribué à m. Did . . . ne se trouvait que dans les Lettres juives.

Pourquoi donc me reprochez vous ces deux erreurs que j'ai corrigées? En bonne foi, monsieur, vous savez bien qu'en matière de citations, je ne serais embarrassé que sur le nombre.

C'était donc un fou que ce La Métrie qui composait à Berlin des sottises étant ivre. Je ne le connaissais que par ces deux vers:

Fléau des médecins, il en fut la lumière:
Mais à force d'esprit tout lui parut matière.

Et ce n'est pas tout à fait le portrait d'un fou. Comme j'avais intitulé ma pièce, les Philosophes, & non pas, les Encyclopédistes, j'ai cru que je pouvais puiser des citations hors de l'Encyclopédie, & que toutes les absurdités prétendues philosophiques appartenaient à mon plan. Or le Discours sur la vie heureuse est un ouvrage très fertile en absurdités de cette espèce. On y traite la grande & inutile question du bonheur, on y parle du bien & du mal moral, du juste & de l'injuste, &c. &c. &c. Ce n'est donc pas sérieusement que vous dites, monsieur, que ce livre n'a pas plus de rapport à la philosophie, que le portier des Chartreux avec l'histoire de l'église.

Mais c'est trop vous importuner d'une très triste querelle; il est aisé d'apercevoir que vous n'avez pas envie que j'aie raison. On a fait agir auprès de vous trop de ressorts contre moi. Je n'en suis pas moins le plus sincère de vos admirateurs.

Je ne rougirais pas de me rétracter si j'avais eu le malheur d'être trompé, ou le malheur, plus naturel encore, de me tromper; mais, monsieur, je n'ai point écrit sur des mémoires; je ne lis point ceux de maître Abraham, & j'ai sous les yeux l'Encyclopédie & quelques autres livres. Vous les avez lus, sans doute, vous, monsieur, qui me conseillez de les lire. Cela me suffit pour savoir ce que vous en pensez. L'envie que j'ai eu d'être quelquefois plaisant, ma appris à me connaître en plaisanterie. Le conseil que vous me donnez en est une excellente, & je vois que vous êtes fort loin, monsieur, d'être un Français hors de son élément, car vous êtes très gai.

Je conviens avec vous qu'il faut se réjouir, & qu'il n'y a que cela de bon. Aussi je ferai comme vous. Je me moquerai, tant que je pourrai des gens qui se sont moqués de moi, puisque cela réjouit, & ne fait aucun mal.

Je suis avec le plus profond respect,

Monsieur,

Votre, &c.