Freiberg 28 février 1760
Vous croyez posséder la fontaine de Jouvence, vous me voulez rajeunir malgré mon âge et ma décrépitude.
Laissez en paix un pauvre vieillard qui ne prétend ni au beau feu qu'il semble que Prométhée n'a dérobé du ciel que pour vous seul, ni à des applaudissements qu'il ne mérite pas. Sans doute, je me suis défendu, et qui s'abandonnerait soi même quand une demi douzaine de faquins couronnés le viennent attaquer? Si j'ai résisté au nombre, c'est que la nécessité est un grand maître, et fait trouver des expédients qu'on n'imaginerait pas sans elle. Voilà mon secret. Je ne crois pas qu'on se mettra de gaieté de cœur à l'école de ce maître, et je trouve heureux qui ignore jusqu'à son nom.
On ne se contente pas de me persécuter comme prince, on me persécute encore comme auteur; c'est un trait infâme à celui qui a publié mes ouvrages. Je n'accuse personne, mais celui qui en est coupable, mériterait la punition des sacrilèges. Je trouve plaisant que des personnes s'offensent de mes vers. Je jure qu'ils n'ont pas été faits pour eux, et qu'ils me feront un grand plaisir de ne les pas lire et de les ignorer. Qu'ils m'envoyent au diable, à la bonne heure! S'ils ne font autre mal que celui là, je leur pardonnerai avec un cœur vraiment philosophique. Il semble que ce soit la mode depuis quatre ans que, pour être du bel air, il faut se déclarer mon ennemi. Cela est réellement plaisant; mais comme les modes ne durent guère, il y a apparence qu'on se lassera de celle ci.
En vérité votre ministre éphémère me fait rire par la belle sentence que vous me rapportez. Elle est tout à fait dans le goût d'Homère. Comment est il possible qu'un valet de roi parle d'un ton aussi absolu? J'ose premièrement vous dire que son argument disjonctif est mal fait et la conséquence fausse, et je parie qu'il en arrivera tout autrement qu'il n'a cru. Il sied bien mal à un homme qui possède une place mobile et précaire, de s'expliquer avec tant de hauteur, principalement s'il considère le sort de ses devanciers la plupart exilés, mais qu'importe, l'impertinence des ministres est un des droits de leur charge sur toute la surface de notre globe, ils sont à peu près jetés dans le même moule. Qu'ils ne s'expliquent donc point par allégorie, s'il s'agit de faire la paix, ou l'on croira qu'ils se moquent de nous. On leur en a assez dit, c'est à eux de parler. Mais fussent ils couverts des armes d'Ulysse, à leurs apophtegmes on les prendrait pour être échappés aux écuries de Silène. Ex ungue leonem.
Je vous épargne un ramas de mauvais vers qui ne valent pas les frais de la poste, et je recommande le rat aux fromages de Suisse en faisant des vœux pour qu'il soit préservé de la patte des chats et des dévots.
Federic