1759-09-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Augustin Paradis de Moncrif.

 . . . qu'il nous reviendra pour vous Monsieur je crains fort que votre santé, votre paresse et St Clou ne vous privent du plaisir de vous recevoir dans un de nos châteaux, et que vou[s] ne nous obbligiez de vous aller faire une petite visite à Paris.
Mais comment faire quiter à Mon Oncle sa charue? La chose est plus difficile que l'on ne croit. L'absence ne peut altérer la tendre amitié que j'ai pour vous depuis si longtemps et que je vous conserverai toute ma vie.

Denis

Soyez bien malade mon cher camarade afin que nous vous guérissions. Venez au temple d'Esculape, faittes votre pélerinage comme les dames de Paris. Nous avons icy depuis deux ans madame d'Epinay, confessée en chemin, arrivée mourante. Non seulement elle est ressuscitée mais inoculée. Voylà un grand triomphe et un grand exemple. Et moy donc! ne pourai-je me citer? Je m'étais arranger pour mourir il y a quatre ans, et je me trouve plus fort que je ne l'ay jamais été, bâtissant, plantant, rimant, faisant l'histoire de cet empire russe qui nous vange et qui nous humilie.

O fortunatos nimium, sua nam bona norunt,
agricolas.

Aussi je ne me suis point fait enduire de térébentine et je n'ay point eu besoin d'envoier chercher des capucins. Maupertui a vécu comme un insensé et est mort comme un sot. Le roy de Prusse ne pouvait le soufrir, mais comme il n'avait alors de niches à faire ny à l'impératrice ny au roy, il en faisait à Maupertui et à moy. J'ay pris le parti d'enterrer l'un, et d'être baucoup plus heureux que l'autre. L'ingratitude du roy de Prusse a fait mon bonheur, et le roy notre bon maitre l'a comblé en déclarant mes terres libres. Il ne me manque que de vous voir arriver icy pour prendre comme moy des lettres de vie au bureau de Tronchin.

Je vous embrasse de tout mon cœur. La mode est elle toujours dans les académies de louer les atées, d'avoir eu de grands sentiments de relligion?

Qu'on est sot à Paris!

V.