1759-06-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

J'appelle de Cesar à César, et de Salomon à Salomon.
Il me traitte comme François premier traitta Charles quint, un démenti par la gorge, dans ses lettres patentes de Hennesdorf 8 juin. Mais Cesar se souviendra que je luy demanday il y a longtemps la permission de réfuter le livre de l'évêque du Pui et de l'abbé de Cavérac, intitulé Apologie de la révocation de l'édit de Nantes dans le quel il s'en faut baucoup qu'on ait rendu à votre majesté la justice qu'on luy doit. Elle daigna m'écrire de Breslau le 21 mars, ces propres mots, vous pourez y ajouter une lettre selon votre bon plaisir, quoy que je sois très indiférent sur ce qu'on peut dire de moy en France. On ne me fâchera pas quand on dira que vous êtes l'auteur de mon histoire de Brandebourg.

C'est sur cette permission expresse de votre majesté, que j'ay réfuté une partie des calomnies de ce livre. Je suis en droit, ai je dit, sur une lettre du roy de réfuter quelques mensonges imprimez.

Vous m'avez donné ce droit. J'en ay usé pour confondre ceux qui en effet ont menti par leur gorge, et qui ont osé parler de votre personne avec une malignité très outrageante. Si vous lisiez ce livre vous verriez, que j'ay bien fait d'infirmer le témoignage de l'auteur. Vous me sauriez quelque gré de mon zèle. Vous reconnaitriez celuy qui vous a été si longtemps dévoué et qui le sera toujours, celuy qui brave vos ennemis quand il s'agit de rendre justice à vos grandes qualitez.

A l'égard du prince votre frère, j'ay raporté mot à mot à votre majesté la réponse de Tronchin sans y rien changer. Il ne sort plus de Geneve. Il donne ses consultations, il en use précisément comme Borave. On va chez luy comme on allait à Epidaure; les princes malades y viennent. Il n'approuve point du tout les eaux pour les maladies de poitrine, mais il exige le changement d'air, et il est très vray qu'on n'en peut changer d'une manière plus utile qu'en venant auprès de luy. Devrai je donc faire autre chose que de vous dire exactement ce qu'il ma répondu en vous envoyant son avis? et en quoy ai-je mérité vos reproches lors que je ne suis occupé que de vous servir? et quel raport je vous prie de cette exactitude fidèle, avec le roy mon maitre et avec le ridicule des vieux ambassadeurs? et avec mes pauvres terres contribuables du bien aimé? Mes petites terres je l'avouerai à votre majesté, ne sont point contribuables, elles sont sur la frontière de France, mais elles ne payent rien du tout à la France. Elles en ressortissent et c'est ce qui causa les frayeurs de ma malheureuse nièce quand nous reçumes à Fernex en France à une lieue des Délices votre gros paquet qui paraissait avoir été ouvert. Vous savez sire qu'il contenait des choses que vous seul estes en droit de dire, et qui auraient pu nous perdre. On ne m'appelle à la cour de France que le Prussien. C'est un surnom dont je me glorifie. Mais vous entrez sans doute dans la situation d'une femme acoutumée à tout craindre. Elle n'a pas voulu qu'un monument si funeste subsistât. Je vous assure que ma vie n'eût pas été en sûreté s'il eût été trouvé chez moy. Que la générosité naturelle à votre cœur, que votre compassion épargne donc une femme qui n'a été que trop maltraittée. Pour moy je ne désire dans ma douce retraitte que la consolation de finir ma carrière avec L'idée d'être toujours dans les bonnes grâces du grand Federic. Il sait que mon cœur ne peut perdre les sentiments de respect et d'admiration que j'ay pour luy.

V.

Encore un petit mot, soit que votre majesté ait donné bataille ou non, daignez résoudre le problème suivant. A qui doit on être attaché? pour qui doit on faire des vœux, qui doit on aimer?

Es ce un roy philosophe, qui cultive nos arts, qui fait honneur à l'esprit humain, qui ne persécutera jamais personne pour sa relligion, qui empêchera que les jésuittes ne gouvernent la terre? ou les puissances gouvernées par le r. p. Poignardini, et par le R. P. Aconiti?

Ah héros à faire enrager qui voulez toujours avoir raison, si votre cœur!….

Mais je suis si vieux, et j'ay si mal aux yeux, que je ne me soucie plus de rien. Pas même de votre cœur, si pourtant…. mais non… vous n'êtes qu'un grand homme pour tout potage, un génie universel, sans indulgence, un maudit héros qui n'avez jamais aimé l'imbécille

V.