1758-12-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Plus d'un tracas, je ne dis pas tracasserie, m'a empêché d'écrire au plus aimable colonel suisse qui ait jamais servi les bataves.
Je vous promets bien cependant mon cher maître de notre scène lausanoise de tenir mes rôles de vieillard touts prêts. Madame Denis sait Mérope. Mais quand ouvrirons nous notre téâtre? il faut le demander à mr de Boisi qui a la goutte et qui n'a point encor signé le marché de Ferney, à Mr le président de Brosses qui me vend aussi son Tournay, aux notaires, à l'architecte, à cinquante ouvriers en tout genre. Je me suis donné le plaisir malin d'entourer la république de Geneve de mes terres. Ce n'est pas à dire qu'elles soient d'une vaste étendue, mais je ris d'avoir tout juste pour mes vassaux deux prédicants dont je n'étais guères plus édifié que de celuy de Vévay. J'ay choisi Lausane et Geneve pour être libre, j'y ajoute la France pour l'être davantage, mais Lausane sera toujours mon séjour favoir tant que vous y serez. J'attends les neiges et les glaces, comme les autres attendent le printemps. Il faut qu'il gèle bien fort pour que je vienne vous voir. Je prendray à peu près le temps où les trois rois vinrent d'Asie. J'arriverai avec toutte ma colonie et je serai à vos ordres quand il gèlera à pierre fendre. Ce n'est pas que je n'y sois toutte l'année, mais cette fois cy je ne suis le maître de mon temps que pendant les glaces. Mille respects à madame d'Hermanches et à toutte votre famille. Nos dames vous font force coqueteries.

V.