du 27 9bre [1758] des Delices
Je reçois Madame votre lettre de Tubingen du 22.
Vous retournez donc à Viene. Puis que nous avons eu le malheur de vous perdre j'aime encor mieux vous savoir auprès de votre divine Marie Therese que dans un lieu où vous seriez privée du bonheur de la voir.
Je vais premièrement vous rendre comte de la comition que vous m'avez donné au suget de M r Favard de st Gean. Mr Turtin a écrit en Piemon, en Savoie. Il n'y a point de Favart de st Gean mais il y a en Chablais un Mr Farrat de Bellevaux et l'on ne doute pas que ce ne soit celui là que vous cherchez. Ce Mr Farrat est à son aise, son père et son grandpère avoient épousé chacun une demoiselle. On ajoute que c'est leur fortune qui leur avait procuré cet honneur. Celui d'aujourdui a épousé une bourgeoise dont il a eu 7 enfans, 4 fils et trois filles. On dit que l'ainé est à Lion, on ajoute qu'on croit qu'il fait le comerce. Le 2ond a servi en Almagne et est actuelement à celui de Prusse. On dit infiniment de bien des deux cadets et nous avons remarqué que l'on affecte de très peu parler de l'ainé. Les trois seurs sont mariées. A la façon dont on écrit cet homme ne parais pas gentil homme et sa fortune ne peut être bien considérable puis qu'il faut la partager en sept. Mr Turtin m'assure qu'il tient cette information d'une homme très considérable et qui connais parfaitement le païs. Voilà tout ce que nous avons pu découvrir.
Mr Grand m'a envoié 16 Louis neufs sur votre assignation. J'ai paié vos deux marchandes, Madame et je vous envoie leur reçus.
J'ai enfin vos souliers. Il y en a de quoi faire une douzene de paire de toute couleur. Mendez moi Madame comment il faut que je m'y preine pour vous les faire parvenir. Mr Grand peut il les adresser à Melle Daunope et a t'elle des moiens pour vous les envoier? Pardon Madame de vous avoir fait tarder si longtemps, les ouvriers en sont la cause, il n'y en avait plus dans Lion, et il a fallu attendre que ceux ci fussent faits.
Nous avons eu dix lettres de Laureine qui nous ont rendus compte du petit séjour dont vous avez honnoré cette proveince. Vous l'avez subjuguée, on a été enchanté comme moi et de votre caractère noble et naturel, et des agrémens de votre esprit. Vous voiez que je n'ai nul mérite à vous aimer. C'est à vous seulle à qui vous devez l'avantage d'être chérie de toutes les personnes qui ont l'honneur de vous Connoitre. Je me glice dans la foule, mais je deffie vos meilleurs amis de me surpasser en amitié et en constance.
J'ai cru entrevoir dans une de vos lettres Madame que vous avez conçu un peu de reconnoissence pour la Loraine et que Craon ne vous a pas déplu. Je sçai que c'est un lieu charment. Mais si jamais vous l'occupez vous augmenterez bien mes regrets. Il n'a tennu qu'à mon Oncle de l'avoir aussi bien que Champinelle qu'on lui a offert encor depuis un mois. Mais il a prit tout un autre parti. Il vient d'acheter dans ce païs ci deux terres, Tounez et Fernex, qui ne sont bâties n'y l'une n'y l'autre. Il en bâtit une, nompas comme Craon mais il fera une maison très lojable. Ainsi nous voici clouez à jamais dans ce païs ci. Nom je ne vous reproche pas de menquer de philosophie quand vous voulez habbiter Craon, et le résonement que vous me faites sur la Suisse me parait très sancé et très vrai. Je penserais comme vous Madame si je n'avais pas un aimant qui m'attire au quel je ne puis résister. Finissez vos affaires et retirez vous dans le lieu qui vous sera le plus agréable. Vivez libre, c'est le meilleur conseil que je puisse vous donner. Si jamais vous veniez à Craon ne doutés pas que nous n'allions vous y chercher. Cet espoir me console dans ma Suisse et je ne m'accoutume point à croire que je n'aurai plus le bonheur de vous revoir.
Votre illustre et charmente amie réussit à merveille à Paris, on en parait enchanté. Je n'en suis point surprise, elle est almende et quand vous voulez mes dames vous donner la peine d'être aimable vous l'êtes bien plus que nous, vous joignez aux grâces de votre sexe plus de culture, et de connoissence qui étandent l'esprit. Nous n'avons Comunément que la frivolité qui devient incipide passé vingt sinq ans.
Dalbaret m'a dit Madame qu'il avait eu l'honneur de vous écrire. Il est toujours attaché au char de Mme de Muïs, nous le voions quelquefois et nous regretons sans cesse les moments que nous avons passez avec vous. J'ai vu deux lettres de vous charmentes adressés à Mon Oncle. Votre imagination est toujours nouvelle et votre coeur toujours le même. Pardonnez moi si j'ai été si longtemps à vous écrire, j'ai presque toujours été malade. Il me prands des étoufemens suivis de langueur qui m'autent tout pouvoir de rien faire mais mes sentimens pour vous Madame ne peuvent s'affoiblir. Ma soeur vous présente ses homages, Mr de Florian vous assure de son respect et nous sommes tous à vos pieds.