aux Délices 2 xbre [1757]
Je vois Monsieur par votre lettre que Monsieur le duc Daremberg, et la ville de Paris partageront vos faveurs une partie de l'hiver, mais enfin vous nous reviendrez.
Je n'aurais pas sans cela conclu mon marché avec Mr de Monron. J'ay garanti l'intérieur de sa maison des injures de la bize. J'ay fait des antichambres, des fournaux, des cheminées, mais je fais bien plus de cas des décorations du téâtre Gentil. Et vous savez quel besoin ce téâtre a de vous. Celuy que nous avons eu cet été aux portes de Geneve n'a servi qu'à redoubler notre goust pour celuy de Lausane. Vous serez peutêtre bien fâché de ne vous pas faire estropier pendant ce temps là sur les bords du Danube, de l'Elbe ou du Rhin. Je conviens qu'il est triste de ne pas revenir dans sa patrie avec une jambe de bois. Mais tâchez de vous consoler cette année. Il est bien difficile que vous n'ayez tost ou tard des occasions de contenter votre goust. Pour moy j'acorderai volontiers tous les plaisirs à votre gloire pourvu que vous nous reveniez les hivers avec tous vos membres.
L'affaire du 5 novembre n'est pas à l'honneur des français et des cercles. Le roy de Prusse qui fait toujours des vers en perdant des villes et en gagnant des batailles m'avait écrit quelque temps avant cette journée
Il s'est assurément conduit en roy et n'en est pas mort. Ceux qu'il a eus en tête ne se sont mis en devoir de tuer personne. Il faudra voir si ce qui fait sa gloire poura contribuer au rétablissement de ses affaires. Il a tant d'ennemis qu'il peut en se faisant une grande réputation perdre tous ses états. Mais il ne m'apartient point de faire le politique. Je ne vois les choses du fonds de ma retraitte qu'avec de mauvaises lunettes. Je me borne à être témoin du bonheur paisible de Mr votre frère. Il est chez moy avec madame sa femme à l'heure que je vous écris. Je les suivrai bientôt à Lausanne où je vous attendray avec toutte l'impatience d'un homme qui ne comptera pour ses beaux jours que ceux qu'il aura l'honneur de passer avec vous, et qui vous est attaché par tous les sentiments que vous inspirez.
Ma nièce vous en dit tout autant.
V.