1757-06-01, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Je conviens avec vous, mon cher & illustre maitre, qu'il vaut mieux dans le moment présent avoir une pension sur la caisse de Berlin que sur celle de Vienne, mais je sacrifierois en vérité sans peine toutes mes pensions pour n'entendre plus parler de destruction et de carnage.
Vous aviez bien raison de me dire à Geneve, que le roi de Prusse avoit plus d'esprit qu'eux tous; il y paroit, du moins jusqu'ici. S'il fait la paix aussi bien qu'il fait la guerre, il se couvrira d'une gloire immortelle, et méritera bien d'être chanté de nouveau par vous, dussiez vous à cet effet vous raccommoder ensemble.

J'ai envoyé votre lettre à Briasson. A l'égard de la proposition qu'a fait votre ami, je vois bien qu'il ne connoît pas les libraires. Deux exemplaires de l'Encyclopédie à donner les feront crier comme si on leur arrachoit l'âme; s'il peut en arracher un pour lui, il sera bien heureux, je lui conseille même de traiter pour cela avec eux avant de nous envoyer le reste des articles qu'il nous promet. Mandez lui de me faire parvenir la liste de ce qu'il peut nous donner, avec les conditions aux quelles il veut travailler, & je verrai si cela leur convient; mais je ne vous réponds pas du succès.

Permettez moi d'assurer madame Denis de mes respects très humbles. Mon collègue vous fait mille tendres complimens. A dieu, mon cher et grand Philosophe, je vous embrasse de tout mon cœur.