1756-12-13, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous avez, mon cher & illustre maitre, très grande raison sur l'article femme et autres, mais ces articles ne sont pas de mon bail, ils n'entrent point dans la partie mathématique dont je suis chargé, & je dois d'ailleurs à mon collègue la justice de dire qu'il n'est pas toujours le maître ni de rejetter, ni d'élaguer les articles qu'on lui présente.
Cependant le cri public nous authorise à nous rendre sévères, et à passer dorénavant par dessus toute autre considération, et je crois pouvoir vous promettre que le 7e volume n'aura pas de pareils reproches à essuyer.

J'ay reçu les articles que vous m'avez envoyés, dont je vous remercie de tout mon cœur. Je vous ferai parvenir incessamment l'article histoire contresigné. Nos libraires vous prient de vouloir bien leur adresser dorénavant vos paquets sous l'enveloppe de mr de Malesherbes, afin de leur en épargner le port, qui est assez considérable. Quelqu'un s'est chargé du mot Idée, nous vous demandons l'article Imagination; qui peut mieux s'en acquitter que vous? Vous pouvez dire comme mr Guillaume, je le prouve par mon drap.

Le Roi tient actuellement son lit de justice pour cette belle affaire du parlement et du clergé:

& l'Eglise triomphe ou fuit en ce moment;

Tout Paris est dans l'attente de ce grand événement qui me paroît à moi bien petit en comparaison des grandes affaires de l'Europe; les prêtres & les Robins aux prises pour les sacremens vis à vis les grands intérêts qui vont se traiter au Parlement d'Angleterre, vis à vis la guerre de Boheme et de Saxe, Tout cela me paroît des coqs qui se battent vis à vis des armées en présence.

Personne ne croit icy que les vers contre le Roi de Prusse soient votre ouvrage, excepté les gens qui ont absolument résolu de croire que ces vers sont de vous, quand même ils seroient d'eux. J'ai vû aussi cette petite Edition de la Pucelle, on prétend qu'elle est de l'auteur du Testament politique d'Alberoni; mais comme on sçait que cet auteur est votre ennemi, il me paroit que cela ne fait pas grand effet. D'ailleurs les exemplaires en sont fort rares icy, & cela mourra, selon toutes les apparences, en naissant. Je vous exhorte cependant là dessus au désaveu le plus authentique, & je crois que le meilleur est de donner enfin vous même une Edition de la Pucelle, que vous puissiez avoüer. Adieu, mon cher & illustre maître, nous vous demandons toujours pour notre ouvrage vos secours & votre indulgence.

Mon collègue vous fait un million de complimens. Permettez que madame Denis trouve icy les assurances de mon respect. Vous recevrez au commencement de l'année prochaine l'Encyclopédie. Quelques circonstances qui ont obligé à réimprimer une partie du 3e volume, sont cause que vous ne l'avez pas dez à présent. Interim vale & nos ama.