1757-04-13, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre commission n'a point tardé à se faire, mais j'ai tardé un peu à vous le faire savoir.
Je fis part il y a quelques jours de votre Lettre dans un petit comité où se trouva M. de Boissi et il me prévint lui même assés pour que je me fisse prier. J'avois aprouvé cette lettre, elle est familière et noble, et par conséquent également propre pour le Public comme pour un ami. Le trait sur l'amiral Bing est bien amené et ne déplaira pas ici je vous assure, c'est le ton qu'il falloit prendre.

On m'a fait part de nouveaux desseins pour la Henriade dans une belle Edition que Mrs Crammer méditent de faire in 4. dans deux ou trois ans. J'en ai été beaucoup plus content que de[s] desseins de le Moine, de Veughla et même de De Troyes. Ils sont de M. Gravelot, frère de M. Danvile, le Géographe qui est de l'Académie des belles Lettres, tous deux mes anciens camarades de collège et qui m'ont toujours témoigné beaucoup d'amitié. Ils ont toujours aussi été admirateurs et deffenseurs de vos ouvrages. Ils sont fort habiles gens l'un et l'autre, et ils peuvent vous être de quelque utilité. Ils sont d'ailleurs pleins de discrétion et d'honeur. Le dessinateur a deu vous écrire.

Le commentaire qu'a fait M. l'abé Trublet sur l'article de M. de Fontenelle dans les hommes illustres du siècle de Louis 14 est une preuve de l'impartialité de tous les jugements que vous en avés portés. Il y a pourtant certains hommes illustres qu'on se plaint que vous ne distingués pas assés ny selon leur Génie ny selon leurs travaux. Tels sont les P. Petau et Sirmond, Dom Mabillon et Ducange, dont vous faites croire que vous ne connoissés pas assés les ouvrages. Ils sont des hommes aussi extraordinaires sur la terre que tous les grands hommes des autres genres. Il n'y a personne qui en lisant les belles préfaces des Glossaires de Du Cange ne le regarde comme un Philosophe et un homme de Génie. Vous les traités trop légérement.

Vous aurés été content du beau discours de M. Seguier l'avocat général. Il y a beaucoup de finesse d'esprit et d'élévation. Il fait honeur au nom qu'il porte. Son stile n'a rien de maniéré, enfin c'est de la grande et belle éloquence. Ce discours est un cattivo vicino pour M. de Nivernois qui noye ou entortille toutes ses idées comme si on le faisoit exprès.

La Comédie de M. Diderot est si fort déchirée malgré tous ses applaudissemens dans les bureaux d'esprit qu'ils ont abandonné le dessein et les démarches qu'ils ont fait pour la faire représenter. Les éloges qu'il vous donne avec justice dans sa Poétique ne vous la feront pas aprouver. Il ne connoit ni le Théâtre, ni le stile de la Comédie.

Je reviens de la campagne et j'y retourne. Que n'est il aussi facile d'aller aux Délices! Je vous embrasse bien de tout mon cœur.