1755-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claire Josèphe Hippolyte Léris de Latude.

On me mande qu'on rejoue à Paris cette pièce dont vous faites tout le succès.
Le triste état de ma santé m'a empêché de travailler à rendre cet ouvrage moins indigne de vous. Je ne peux rien faire, mais vous pouvez retrancher. On m'a parlé de quatre vers que vous récitez à la fin du 4e acte:

Cependant de Gengis j'irrite la furie;
Je te laisse en ses mains, je lui livre ta vie;
Mais, mon devoir rempli, je m'immole après toi.
Cher époux, en partant, je t'en donne ma foi.

Je vous demande en grâce, mademoiselle, de supprimer ces vers. Ce n'est pas que je sois fâché qu'on ait inséré des vers étrangers dans mon ouvrage. Au contraire, je suis très obligé à ceux qui ont bien voulu me donner leurs secours pendant mon absence. Mais le public ne peut être content de ces vers. Ils ressemblent à ceux que dit Chimène à Rodrigue, mais ils ne sont ni si heureux ni si bien placés.

Rien n'est plus froid que les scènes où l'on répète qu'on mourra, et où un autre acteur conjure l'actrice de vivre. Ces lieux communs doivent être bannis; il faut des choses plus neuves. Je vais écrire à m. Dargental pour le supplier avec la plus vive instance de s'unir avec moi pour remettre les choses comme elles étaient. Je peux vous assurer que la scène ne sera pas mal reçue si vous la récitez comme je l'ai faite en dernier lieu.

Je n'ai que le temps, mademoiselle, de vous demander pardon de ces minuties et de vous assurer de tous les sentiments que je vous dois.