à Geneve le 6 aoust 1755
Quoique je soit très persuadé, Monsieur, que, dans les circonstances présentes, vous estes accablé de travail, je crois ne devoir pas vous laisser ignorer ce qui vient de se passer ici au sujet de la Pucelle, affin que, s'il en revient quelque chose au ministre, vous soyés en état de l'en instruire.
Il y a quelques jours qu'un homme notté de quelques supercheries qui l'ont obligé de s'absenter de cette ville y revint et alla trouver m. de Voltaire pour luy offrir une copie de la Pucelle pour 50 Louis; et pour luy prouver qu'il disposoit de ce manuscrit, il luy remit 17 vers copiés de sa main. M. de Voltaire les trouva affreux, nia qu'ils fussent de luy, refusa de les rendre à Grasset, c'est le nom de l'homme, et vint en ville me les apporter, affin que le Magistrat prit des mesures pour saisir les MS qui pouroient estre chez cet homme. Je crus que je ne pouvois refuser de me mesler comme simple parter de cette affaire; je fis voir les vers au Magistrat chargé de la Police à qui j'expliquay bien que je n'agissois que de moy et que je ne faisois que l'office d'amy. Ce magistrat rendit compte des vers aux quatre sindics et je ne fus nommé que dans ma qualité d'amy. On jugea qu'il falloit arrester Grasset, et le saisir et ses papiers; on n'y trouva que deux copies des 17 vers. Après bien des formalités que je suprime, on le relâcha. M. de Voltaire a écrit au Conseil la lettre la plus forte et désavouë hautement qu'il soit l'auteur de vers aussy impies. Le Conseil a receu ce désaveu avec plaisir et doit faire brûler par la main du Boureau les deux copies qui en ont esté trouvé chez Grasset. On prétend qu'il se mesle à Paris de colporter des Livres dangereux, avec un nommé Corbi que l'on dit être fort connu. M. de Voltaire craint que l'on ne fasse imprimer un ouvrage qui à en juger par les 17 vers doit estre détestable et digne du feu avec son auteur. Voilà, Monsieur, tout ce que j'avois à vous mander avec les asseurances de l'attachement inviolable avec lequel j'ay l'honneur d'estre, Monsieur, Vostre très humble et très obéissant serviteur,
Montperoux
Je crois que vous serés bien content de Gengis Kan ou l'Orphelin de la Chine que l'on étudie àprésent à Paris: je ne connais point de pièce d'un plus grand interrest et dont le dénouëment soit plus frapant. C'est un coup de Théâtre tout neuf et qui selon moy doit avoir le plus grand succès.