1754-03-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Je reçois dans l'instant le paquet que vous avez la bonté de me dépêcher par m.
Bouret avec le catalogue de mes livres. Je juge par les papiers que vous avez l'attention de me faire tenir, et dont je vous suis très obligé, qu'il reste peu de chose d'importance. S'il y avait encor quelques lettres de la même main que celles qui sont dans ce paquet, s'il y avait quelques feuilles de l'histoire universelle qui allassent jusqu'aux derniers temps de l'histoire de François premier, je vous serais bien redevable de me les faire tenir. C'est dans ces recherches qu'un homme tel que je l'ay demandé serait très utile.

Il me faudrait aussi un petit livret en parchemin vert qui est dans l'armoire de bois violet près de votre cheminée concernant mes affaires telles qu'elles étaient avant mon départ. Je voudrais aussi avoir un manuscrit intitulé l'esprit de mr de Voltaire; il est de la main d'un nommé Durand qui est l'autheur de la connaissance des bautez et des défauts de la langue. J'ay retrouvé la dédicace qu'il me fit de cet ouvrage, la quelle je luy fis supprimer. Cette dédicace et le manuscrit intitulé l'esprit de M. de V.étant de la même main me sont nécessaires pour completter les pièces justificatives qui peuvent servir à confondre l'imposture. On dit que Freron dans ses feuilles m'impute ce livre de la connaissance des bautez et des défauts. Je ne lisais aucune feuille, et j'en avais fait vœu depuis l'abbé Desfontaines. Lambert s'avise àprésent de me les envoier; il s'est attaché à Freron, et ne parait pas trop empressé à me servir dans la nouvelle édition que je luy demande. Il ne me fait pas seulement réponse. Cependant il est important pour moy, et même assez convenable pour vous, qu'on fasse enfin une édition exacte de mes ouvrages, dans la quelle surtout il paraisse que tous ces éloges que j'ay donnez au roy de Prusse nétaient que les fruits de la séduction de son amitié capricieuse, et des réponses à des éloges baucoup plus forts qu'il me donnait. Ce motif joint à celuy d'une infinité de corrections faittes avec le plus grand soin peut vous faire désirer que cette édition soit faitte sans délay; et si Lambert ne peut s'en charger, il la faudra faire dans les pays étrangers et malheureusement il la faudrait faire alors sous mes yeux.

Permettez que je fasse icy une petite mémoire des choses que vous pouriez m'envoyer dans un paquet par le carrosse.