…gloire que tout le reste de l'édition étoit également défigurée & tronquée.
Défigurée. J'en allègerois vingt traits hazardés, vingt erreurs de fait, de noms & de dates. Tronquée. J'allègerois l'Histoire des Croisades que j'ai fait recueillir de plusieurs Mercures de France & qui est au moins d'un quart plus complette que l'édition de Neaume. Avec cela je me suis cru en droit de crier pour vous. Dans le tems que je prenois ainsi feu sur l'injure qui vous étoit faite, je sçus que le sr Claude Philibert, l'un de nos libraires, honnête home, contrefaisoit cet ouvrage. Je courus à lui, & lui dis que cela ne devoit pas se faire sans vous en avertir, & que l'édition de Holl.étoit trop défectueuse pour devoir être copiée. Il me répondit qu'il cherchoit de tous côtez à savoir où vous pouviez être, pour vous consulter, & vous témoigner en cette occasion les égards qui vous sont dus; que vingt libraires contreferoient cet ouvrage s'il ne le faisoit pas, qu'il corrigeroit du moins cent fautes d'impression et qu'il ne parleroit de son édition dans la Préface que come d'une chose encore imparfaite, en attendant que l'illustre auteur juge à propos d'en donner une meilleure.
Je l'aurois prié de tout suspendre jusqu'à ce que vous fussiez averti de la chose, si j'avois sçu où vous écrire. Mais dans cette incertitude et croyant que l'ouvrage étoit entrepris je lui dis que du moins qu'il devoit mettre le titre d'Essai, ôter de l'avant propos l'absurdité dont j'ai parlé, en mettant le passage tel que je le lui donnai, suppléer l'Hist. des Croisades telle qu'on la tire de ces Mercures de France, corriger quantité de fautes dont je lui donnai une liste & avertir dans une préface que ce n'étoit encore là qu'une ébauche bien au dessous de ce qu'on devoit attendre de vous, si vous jugiez à propos de domer vous même cet ouvrage retouché.
Voilà toutes les précautions que mon respect & mon zèle pour vous, purent me dicter, & voilà ce qui a pu donner lieu à vous écrire que cette édition se faisoit sous mes yeux. Je n'ai point eu de part à cette entreprise, j'en ai été fâché, je n'y suis intervenu que pour la rendre un peu moins indigne de vous.
Sur la réception de votre lettre, j'ai prié le libraire de me venir voir. Il m'a répondu come auparavant, & prend le parti de vous écrire lui même pr vous dire ses raisons & ses excuses; & il ne manquera pas de vous envoyer un exemplaire de son édition qui sera finie en peu de jours, afin que vous voyiez vous mêmes le soin qu'il a pris pour faire moins mal que Neaume.
Que faire sur cela? Il me semble, Monsieur, que ce seroit l'occasion de reprendre une pensée que vous aviez il y a 9 ans, qui est de m'adresser cet ouvrage pr le faire imprimer ici correcte’ & à votre gré. Si Madame la duchesse de Saxe Gotha en a un exemplaire correct, cet ouvrage n'est donc pas perdu; & peut-être aprouveroit-elle que vous en fissiez l'usage que je vous indique. Cela pouroit se faire avec tout le secret que vous désireriez. Croyez, Monsieur, que vos dernières avantures de Cour (car on peut bien donner ce nom à ce qui s'est passé) n'a fait que réveiller en moi un souvenir reconnoissant de vos bontés, & un grand désir de vous être utile à quelque chose, & de renoüer une correspondance interrompüe malheureuse’ pour moi par un tourbillon où il ne m'apartenoit pas de pénétrer. Puisse votre santé se rétablir assez bien pour seconder votre génie dans tout ce que le Public a encore droit d'attendre de vous, & pr vous faire vivre en philosophe, en homme de lettres, avec toute la douceur attachée à cet état. J'attens vos ordres, Monsieur & j'ai l'honneur d'être avec respect,
Votre très humble & très obéissant serviteur
J. Vernet, Professeur en Histoire& non bibliothècaire
à Genève le 9 Février 1754
P. S. Pourquoi nous avez-vous fait le tort de dire que la Baumelle est Genevois, ou du moins élevé à Genève? Nous le désavouons. C'est un Languedocien qui a passé seule’ quelques mois come un étourdi entre nos étudians, sans avoir pourtant rien fait de répréhensible. Je n'ai jamais vu d'Ecrivain plus inconsidéré & malin. Il faut le mépriser.