1753-09-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Samuel König.

Je reçois, m, le 9 7bre votre lettre du 17 juillet.
Je sais qu'elle a fait bien du chemin, & je n'en ai fait que trop; voilà une aventure bien étrange. Ce Freidag que vous connaissez si bien, n'a fait qu'exécuter ses ordres. Vous sentez bien que s'il n'en avait pas eu, le roi de Prusse l'aurait puni d'avoir eu l'insolence de faire traîner par des soldats dans les rues de Francfort la veuve d'un officier du roi de France voyageant avec les passeports du roi son maître. Tout ce qui s'est passé est inouï & vous n'en savez que la moindre partie. On nous a volé la valeur de cinq cents carolins, c'est une suite de la loi de l'épargne, apparemment que made Denis avait écrit contre le minimum. Je peux vous assurer que tous les honnêtes gens de l'Europe ont été indignés de cette atrocité. Elle fait tort à la gloire du roi de Prusse, & c'est encore une de mes afflictions. Il a eu le malheur d'écouter la calomnie et d'écrire contre vous et contre moi sans être instruit de l'affaire. Il a fait un faux pas, un faux pas en a entraîné d'autres funestes. L'imposture commença toute cette horreur que la violence a achevée. On lui persuada d'abord que vous aviez parlé contre lui à La Haye, dans le goût dont est écrit le petit libelle de La Baumelle sur Postdam. Maupertuis a été profondément méchant, mais il n'est qu'à plaindre; il est en horreur et j'aime mieux mon état que le sien. Il est vrai que je suis tombé très malade mais je mourrai sans remords & Maupertuis doit en être dévoré. Je suis martyr de la liberté académique, je suis le vôtre, ce sont deux beaux titres. Je les aime mieux que celui de président de l'académie de Berlin.

Notre méchant Lapon avait fait un long ouvrage contre vous et contre moi intitulé la Querelle, il l'a lu à Paris chez Falconet. On lui a dit, il faut être aussi plaisant qu'Akakia pour y répondre, votre Querelle révoltera et qui pis est ennuiera. Il a été de dépit voir ses chiens à S. Malo.

Ce qu'on vous a dit de l'impression de l'œuvre de poésie à Dresde est une pure fable. Adieu, mon cher philosophe, vous pouvez écrire très librement à Strasbourg, mais si vous voulez dérouter les envieux, mettez simplement l'adresse à m. d'Arsin et la lettre sera fidèlement rendue à celui dont le cœur est à vous. Mes mains sont tellement enflées que je ne peux écrire.