1753-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Samuel König.

Je hasarde, mon cher mr, de me donner la consolation de vous écrire ce petit billet.
J'ai reçu votre lettre. J'ai prévenu tout ce que vous me faites l'honneur de me dire. Je crois que vous pourriez faire mettre dans les journaux, la lettre que je vous écrivis le 17me novembre. Elle était antécédente à tout ce qui s'est passé. Elle était écrite avec une candeur digne de votre indulgence. Cette prétendue découverte de la moindre action n'est fondée précisément sur rien, que sur les belles preuves qu'a données Leibnitz, que rien ne s'opère que par une suite de degrés infiniment, petits, et que natura non agit per saltum. Tout ce qui appartient à Maupertuis est aussi ridicule que ses derniers ouvrages. Au reste, monsieur, ce n'est qu'après deux ans de persécution[s] les plus cruelles de sa part, que j'ai pris la liberté de tourner en ridicule ses derniers ouvrages. Ils sont dictés par la démence comme sa conduite par l'orgueil, et par tyrannie. Je suis la victime de ses intrigues et de sa fureur. Toute l'Europe est indignée contre lui; mais je n'en suis pas moins accablé de la manière la plus inouïe et la plus affreuse.

J'ai pris la liberté le 1er janvier de renvoyer au roi de Prusse ma clef d'or, mon cordon, de lui remettre toutes mes pensions et tout ce qui m'en est dû, avec le plus profond respect et la reconnaissance des bontés qu'il m'a daigné témoigner autrefois. Je lui ai écrit une lettre, dans laquelle je lui ai expliqué les sentiments que je conserverai toujours, de quelque manière qu'il en use à mon égard. Le roi a eu l'indulgence et la générosité de me renvoyer avec bonté tout ce que j'avais mis à ses pieds. Il a accompagné cette grâce d'une lettre conforme à la grandeur de son âme, et à la bonté inaltérable de son caractère. Peut-être a-t-il commencé à reconnaître que Maupertuis l'a trompé; peut-être a-t-il été averti par les cris de l'Europe. J'ai persisté à demander mon congé avec les témoignages les plus vrais d'une douleur respectueuse et d'un attachement de 16 années qu'un jour de malheur n'a pu effacer. Je suis tombé malade à la mort et j'attends dans cet état ce que la nature et le roi voudront ordonner de ma destinée. Au reste mr, vous savez que tous les philosophes de l'Europe et mr Wolff à la tête, ont pris hautement votre parti. Je n'ai combattu pour vous qu'en dernière ligne, et je suis un de vos soldats obscurs, blessé à mort pour votre service, dans une cause bien juste. Vale.