1753-08-12, de [unknown] à [unknown].

Nos amis m'ont envoyé deux lettres qu'ils ont reçues de Prusse: une de m. le marquis d'Argens, l'autre de Voltaire.
Je ne sais pourquoi on s'est attaché a décrier ce dernier du côté du cœur; s'il m'était permis de faire imprimer la lettre que j'ai entre les mains, ce serait une réponse bien éloquente à toutes les invectives qu'on a faites contre ce grand homme. En vérité, le père le plus tendre n'agirait pas mieux pour son fils. En conséquence de ces deux lettres, l'abbé de Prades est parti en poste pour Potsdam; les voitures les plus courtes ne l'étaient pas assez pour répondre à l'empressement que Voltaire et m. le marquis d'Argens ont de l'embrasser, et au désir que le roi a de le voir. L'abbé Yvon le suivra dans huitaine. Voltaire leur donne un logement, et il les fera manger avec lui jusqu'à ce qu'ils soient placés, ce qui ne tardera pas. M. d'Al[embert], dont le nom et l'amitié leur ont été très utiles, va écrire au roi et à Voltaire pour les remercier tous les deux, au nom des philosophes français et au nom de l'humanité même, de ce qu'ils font en faveur de deux jeunes gens de mérite, malheureux et injustement persécutés par la cabale des dévots. C'est quelque chose de bien singulier qu'ils n'aient reçu de secours que de ceux qui n'ont pas trop de religion, et que les zélateurs de la loi aient voulu les livrer à l'exécuteur. Serait ce que la religion rend le cœur dur? Je ne saurais le croire; la religion nous ordonne de regarder tous les hommes comme nos frères, et de faire du bien même à nos ennemis. D'ailleurs je sens bien que la religion n'a pas endurci mon âme; je vous avoue que ce contraste me frappe bien vivement.