Potsdam 20 mars [1753]
Je m'imagine que je vous feray un grand plaisir de vous faire lire les deux plus jolies plaisanteries qu'on ait faittes depuis longtemps.
Vous avez été ambassadeur monseigneur le maréchal, et vous serez plus à portée que personne de goûter le sel de ces ouvrages. Cela est d'ailleurs absolument dans votre goust. Il me semble que j'entends feu M. le maréchal de la Feuillade ou l'abbé de Chaulieu ou Perigni ou vous, il me semble que je lis le docteur Suift ou my lord Chesterfield quand je lis ces deux lettres. Comment voulez vous qu'on résiste aux charmes d'un homme qui fait en se jouant de si jolies bagatelles, et dont la conversation est entièrement dans le même goust? Je ne doute pas que vous et vos amis ne sentiez tout le prix de ce que je vous envoye. Enfin songez que ces chef d'œuvres de grâces sont d'un homme qui serait dispensé par sa place de ces agréables amusements et qui cependant daigne y descendre. J'étais encor à Berlin quand il faisait à Potsdam ce que je vous envoye. Je demandais obstinément mon congé, je remettais à ses pieds tout ce qu'il m'a donné, mais les grâces de ma maîtresse ont enfin rappellé son amant. Je luy ay tout pardonné, je luy ay promis de l'aimer toujours, et si je n'étais pas très malade je ne la quitterais pas un seul jour, mais l'état cruel de ma santé ne me permet pas de différer mon départ. Il faut que j'aille aux eaux de Plombieres qui m'ont déjà tant fait de bien quand j'ay eu le bonheur de les prendre avec vous. J'ay promis à ma maîtresse de revenir auprès d'elle dès que je serais guéri; je luy ay dit, ma belle dame, vous m'avez fait une terrible infidélité, vous m'avez donné de plus un gros souflet, mais je reviendray baiser votre main charmante. J'ay repris son portrait que je luy avais rendu, et je pars dans quelques jours; vous sentez que je suis pénétré de douleur de quitter une personne qui m'enchante de touttes façons. Je me flatte que vous aurez la bonté de me mander à Plombieres l'effet que ces deux charmantes brochures auront fait sur vous. J'ay promis à ma maîtresse de ne point aller à Paris. Qu'y ferais-je? Il n'y a que la vie douce et retirée de Potsdam qui me convienne. Y a t’ il d'ailleurs du goust à Paris? En vérité l'esprit et les agréments ne sont qu'à Potsdam, et dans votre apartement de Versailles. Cependant si je retrouve à Plombieres un peu de santé, je pouray bien faire à mon tour une infidélité de quelques semaines pour venir vous faire ma cour. Pourvu que je sois à Potsdam au mois d'octobre, j'aurai rempli ma promesse. Ainsi en cas que je sois en vie, j'auray tout le temps de faire le voiage. Je vous supplie de me mettre aux pieds de madame de Pompadour. Montrez luy les deux lettres au public. Je connais son goust, elle en sera enchantée comme vous. Il n'y a qu'une voix sur ces ouvrages. Il en paraît aujourduy un troisième. Je vous l'enverray par la première poste. Adieu monseigneur, vous connaissez mes tendres et respectueux sentiments. Adieu généreux Alcibiade, vous lisez dans mon cœur, il est à vous.
V.