1741-10-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à César de Missy.

J'ay Lu monsieur avec un plaisir bien vif votre aimable lettre, et madame la marquise du Chastellet y a été aussi sensible que moy.
Nous voudrions que tous les gens de votre robe vous ressemblassent.

Vous êtes prêtre d'Apollon
Autant que de la sainte église.
Sans doute votre main batize
Avec l'eau du sacré vallon.
Les vers dont le dieu d'Helicon
Si pleinement vous favorize
Sont bien au dessus d'un sermon.
La brillante inspiration
Dont l'esprit s'enivre au Parnasse
Est un des baux coups de la grâce
Et voylà ma dévotion.

Si on avoit pensé à peu près dans ce goust là monsieur, les hommes eussent vécu plus doucement, il n'y eût ny concile de Constance, ny st Barthelemy.

Ah laissons le pape et Calvin
Disputer en mauvais latin,
A qui peut d'une main plus sûre
Ouvrir ou fermer la serrure
Des portes du jardin d'Eden.
Vivons sans crainte et sans chagrin
Dans le jardin de la nature.
En tout temps sous d'égales loix
Cette adorable souveraine
Unit les peuples et les rois:
La relligion moins humaine
Les a divisez quelquefois.

Je vais passer deux ou trois mois en France, après quoy je reviendray à Bruxelles, où le grand procez de madame du Chastellet me retiendra au moins deux ans; je remets à ce temps là à vous parler de littérature et à faire venir l'histoire universelle anglaise. Je vous prie Monsieur de me continuer votre amitié. La dernière lettre que vous m'avez écritte me rend cette amitié si prétieuse que je me dispense déjà des cérémonies qui ne sont pas faittes pour elle.

V.