à Potsdam 9 7bre 1752
Je commence, ma chère enfant, à sentir que j'ai un pied hors du château d'Alcine.
Je remets entre les mains de mgr le duc de Virtemberg les fonds que j'avais fait venir à Berlin. Il nous en fera une rente viagère sur nos deux têtes; la mienne ne lui coûtera pas beaucoup d'années d'arrérages; mais je voudrais que la vôtre fît payer ses enfants et ses petits enfants. Cet emploi de mon bien est d'autant meilleur que le payement est assigné sur les domaines que le duc de Virtemberg a en France. Nous avons des souverainetés hypothéquées et nous ne serons point payés avec un car tel est notre plaisir. Ce qu'il y a de douloureux dans une si bonne affaire, c'est que je ne pourrai la consommer que dans quelques mois. Elle est sûre. Les paroles sont données, paroles de prince, il est vrai; mais ils les tiennent dans les petites occasions, et puis nous aurons un beau et bon contrat. Les princes ont de l'honneur. Ils ne trompent que les souverains quand il s'agit du salut du peuple, ou de ces respectables et héroïques friponneries d'ambition, devant lesquelles l'honneur n'est qu'un conte de vieille. J'ai perdu quelquefois une partie de mon bien avec des financiers, avec des dévots, avec des gens de l'ancien testament qui auraient fait scrupule de manger d'un poulet bardé, qui auraient mieux aimé mourir que de n'être pas oisifs le jour du sabbat et de ne pas voler le dimanche, mais je n'ai jamais rien perdu avec les grands, excepté mon temps. Vous pouvez en un mot compter sur la solidité de cette affaire et sur mon départ. Je ferai voile de l'île de Calipso sitôt que ma cargaison sera prète, et je serai beaucoup plus aise de retrouver ma nièce que le vieil Ulysse ne le fut de retrouver sa vieille femme.