A Potsdam, 3 avril [1752]
Mon très cher ami, j'ai reçu votre lettre de Strasbourg, avec une consolation inexprimable.
Vous avez bien soutenu la fatigue du voyage, et je compte que ma lettre vous trouvera à Paris où je l'adresse. Vous me manquez bien à Potsdam. Je m'étais fait une douce habitude de vous voir tous les jours; je ne m'accoutume point à une telle privation. Votre vessie me fait encore plus de mal qu'à vous; elle vous mène à Paris, et elle m'ôte mon bonheur. Je me flatte que vous verrez man nièce; mais vous ne verrez pas mes enfants. Je ne veux pas qu'on reprenne Rome sauvée après Pâques: je la réserve pour l'année de monsieur le maréchal de Richelieu. Guérissez vous vite à Paris, et revenez auprès du roi philosophe, qui rend la vie si douce; revenez dans le séjour du repos et de la philosophie.
Revenez dans la belle retraite, où un roi d'une humeur toujours égale, rend tous nos moments égaux; revenez voir les orangers de Sans-Souci, il me semble qu'il n'y en a point aux Tuilleries. Il est vrai que vous y verrez plus de femmes: voilà ce que vous aimez, traître, avec votre vessie. Eh bien, ramenez nous en une. Venez établir une madame Darget à Potsdam, chez laquelle nos philosophes se rassembleront; qui aura bien soin de vous, qui tiendra votre ménage, qui… cela sera charmant; vous serez égayé tout le long du jour; car
Vous allez cependant préparer vos armes à Paris; vous allez tâter de tous les plaisirs, et moi je vous attends dans mon petit appartement avec de la prose et des vers, qui me tiennent lieu de femme. J'ai fait vos compliments au marquis, qui se plaint de ses c…., comme vous de votre vessie: Per quœ quis peccat, per hœc et punietur? Je les ai faits au comte Algarotti, qui est venu célébrer la Pâque dans notre couvent, et qui attend le dépucellement de madame la princesse de Hesse, pour aller demander la bénédiction à mon bon patron le saint père. Ils vous font tous les plus tendres remerciements: ce n'est pas le saint père que je veux dire, c'est Algarotti et d'Argens. Pour Frédersdorf, je n'ai pu encore m'acquitter de ma commission; je n'ai pu l'attraper depuis votre départ. Adieu, mon cher ami. Vive memor nostri; portez vous bien. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.
Je connais Klinglin et son affaire, j'en augure mal; il a de puissants ennemis, il était trop puissant pour n'être point haï; la fuite de son secrétaire est un mauvais signe.