[c. 1 January 1752]
Vous me croyez donc capable, monsieur, d'un tour des plus traîtres? et je vous parais assez méprisable, pour me traiter comme un voleur, qui est hors d'atteinte?
On ne lui parle raison, que parce que la force n'est pas de mise.
Voilà l'exemplaire dont il s'agit. Je n'ai jamais eu le dessein de le garder. Je vous l'aurais même renvoyé sans votre lettre, qui est la plus singulière du monde. Vous m'y donnez des vues, que je n'ai pas. Vous vous imaginez, que je m'étais mis à traduire un livre, dont mr Henning a annoncé, il y a longtemps, la traduction, comme étant déjà sous presse. Sachez, mon ami, qu'en fait des occupations littéraires, je n'aime pas à me rencontrer avec qui que ce soit. Au reste, j'ai la folle envie de bien traduire, et pour bien traduire Mr de Voltaire, je sais, qu'il se faudrait donner au diable. C'est ce que je ne veux pas faire. — — — C'est un bon mot que je viens de dire: trouvez le admirable, je vous prie: il n'est pas de moi.
Mais au fait. Vous vous attendez à des excuses, et les voilà. J'ai pris sans votre permission avec moi, ce que vous ne m'aviez prêté qu'en cachette. J'ai abusé de votre confiance; j'en tombe d'accord. Mais est ce ma faute, si contre ma curiosité ma bonne foi n'est pas la plus forte? En partant de Berlin, j'avais encore à lire quatre feuilles. Mettez vous à ma place, avant que de prononcer contre moi. Mr de Voltaire pourquoi n'est il pas un Limiers ou un autre compilateur, les ouvrages desquels on peut finir partout, parce que ils nous ennuyent partout?
Vous dites dans votre lettre: Mr de Voltaire ne manquera pas de reconnaître ce service, qu'il attend de votre probité. Par ma foi voilà autant pour le brodeur. Ce service est si mince, et je m'en glorifierai si peu, que Mr de Voltaire sera assez reconnaissant, s'il veut bien avoir la bonté de l'oublier. Il vous a fait beaucoup de reproches, que vous ne méritez pas? J'en suis au désespoir; dites lui donc que nous sommes amis, et que ce n'est qu'un excès d'amitié, qui vous a fait faire cette faute, si c'en est une de votre part. Voilà assez pour gagner le pardon d'un philosophe. Je suis &c.