à Potsdam le 20 9bre 1750
Monsieur et Cher Ami,
Vous savez sans doute L'avanture de Monsieur Darnaux; il aura pris le soin de vous en informer lui même, mais il en aura en même tems altéré les circonstances.
Il s'est dit votre ami, il a été le mien, vous le savez; jugez de là combien il mérite sa disgrâce puis qu'il a dit de moi tout ce qui pouvoit me détruire en ce pais cy et me brouiller avec tous ceux qu'il soupçonnoit de m'aimer ou de m'estimer. C'est un composé de folie, d'envie, de vanité, de jalousie, de mensonge et de méchanceté. Je ne doute pas qu'il ne vous ait parlé de Mr de Voltaire et de Mr Darget et de Mr Du Puget et de moi, comme il en a parlé à bien d'autres, avec les termes les plus méchans et les plus abominables. Mais vous avez trop de jugement, vous avez le coeur trop bien fait, pour croire que nous méritions toutes ses insultes. Vous savez combien Mr de Voltaire l'aimoit, vous avez été quelquefois témoin des marques d'amitié qu'il lui donnoit. Vous n'ignorez pas que Mr Darget à contribué plus que tout autre à sa fortune, et qu'il a débuté ici par se comporter mal avec lui. La vanité et la jalousie lui a fait penser que Mr De Voltaire n'étoit venu ici que pour le Déplacer et que ses liaisons avec Mr Darget n'avoient point d'autre motif. Il s'étoit persuadé qu'il ne m'avoit amené que pour le supplanter; il m'a fait amitié et s'est plaint fièrement que je l'appellasse mon ami. Il a dit que j'étois un valet, un coeur vendu au crime; enfin que sais-je? il à voulu me perdre et vous voyez ce qui lui en est arrivé. Mr Du Puget qui lui a rendu des services essentiels est le premier de ses ennemis, selon les discours que lui inspire sa rage et son ingratitude. Il à voulu m'en faire un ennemi en lui persuadant que j'étois le sien et que je voulois lui ôter sa place auprès du prince. Il étoit parvenu à lui faire croire que Mr Darget, Mr De Voltaire et moi étions trois scélérats, quand nous l'avons démasqué sans nous y attendre et sans l'avoir fait exprès. Nos yeux sont ouverts, prenez garde qu'il ne ferme les vôtres à la vérité. Publiez la parmi nos amis, chez Milord Tirconnel et dans toutes les maisons où il aura débité ses odieux Mensonges. Vous me connoissez incapable de parler mal de personne et surtout d'un homme que j'ai aimé comme s'il l'eût mérité; si je n'avois des raisons claires et évidentes qui m'obligent à prévenir ceux qu'il pourroit surprendre; je vous détaillerai au premier voyage que nous ferons à Berlin des choses qui vous effrayeront. Souvenez vous que c'est la franchise champenoise, l'amour de la vérité, la haine du crime qui ont dicté cette lettre et non l'intérest ou quelque autre passion. Si vous voulez me faire un sensible plaisir, vous aurez la complaisance de démentir les faux bruits qu'il aura pu semer. Ne faites sentir à personne de quelle part vous tenez cecy, de peur qu’ on n'attribue à l'intérest ou à l'envie de médire, ce qui n'est que trop vrai pour son malheur et pour le nôtre. Je vous saluë de tout mon coeur et suis avec l'estime que vous méritez,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Tinois