1750-05-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud.
Vous voylà donc mon cher enfant
Dans votre gloire de Niquée!
Près du bel esprit triomphant,
Par qui Minerve heureusement
Ainsi que Mars est invoquée
Et que L'Autriche provoquée
Admire encor en enrageant.
Quant à notre muse attaquée
Par maint rimailleur indigent
Dont la cervelle est détraquée,
Cette canaille assurément
Du public est peu remarquée.
Que le seul Federic le grand
Tienne notre vue apliquée.
Si l'envie est un peu piquée
Contre votre bonheur présent,
Laissons sa rage suffoquée,
Honteuse, impuissante et moquée,
Se débattre inutilement.
Une belle est elle choquée
Par le propos impertinent
De quelque vieille requinquée?
Elle en rit — j'en dois faire autant.

Qu'importe mon cher Darnaud que ce soit ou Mouhy ou Fréron qui fasse la Bigarure, le Glaneur, le Réservoir, et touttes ces sottises qu'on ne connoit pas dans ce pays cy? Les allemans et les hollandais sont bien bons de lire ces fadaises. Voylà une plaisante façon de connaître notre nation. J'aimerois autant juger de l'Italie par la trouppe italienne qui est à Paris.

Je voudrais pouvoir porter dans votre parnasse royal la comédie de madame Denis. C'est une terrible affaire que de faire huit cents lieues d'allée et de venue, à mon âge, avec les maladies dont je suis lutiné sans relâche. Un jeune homme comme vous peut tout faire guaiment pour les belles et pour les rois,

Mais un vieillard fait pour soufrir
Et tel que j'ay l'honneur de l'être,
Se cache, et ne sauroit servir
Ny de maîtresse ny de maître.

Il n'y a au monde que Federic le grand qui pût me faire entreprendre un tel voiage. Je quitterois pour luy mon ménage, mes affaires, madame Denis, et je viendrois en bonnet de nuit voir cette tête couverte de lauriers. Mais mon cher enfant j'ay plus besoin d'un médecin que d'un roy. Le roy de Sardaigne a envoyé chercher l'abbé Nollet par une espèce de maître d'hôtel qui luy donnoit des indigestions sur la route; il faudrait que le roy de Prusse m'envoiast un apoticaire. Vous me faites quelque plaisir en me disant que mon cher Isac a des vapeurs. Je mettrais les miennes avec les siennes. On dit que Monsieur Darget n'est pas encor consolé. Ma tristesse n'ira pas mal avec sa douleur. Je me remettrois à la phisique sous mr de Maupertuis, je cultiverois l'italien avec M. Algaroit, je m'égaierois avec vous. Mais que ferais-je avec Le roy?

Hélas quelle étrange folie
D'aller au gourmet le plus fin
Présenter tristement la lie
Et les restes de mon vieux vin!
Un danseur avec des béquilles
Dans les bals se présente peu.
La Pâris veut des jeunes filles,
Les vieilles sont au coin du feu.
J'y suis — et j'en enrage. — Adieu.

V.