à Paris 19 may 1750
Qu'importe mon cher Darnaud que ce soit ou Mouhy ou Fréron qui fasse la Bigarure, le Glaneur, le Réservoir, et touttes ces sottises qu'on ne connoit pas dans ce pays cy? Les allemans et les hollandais sont bien bons de lire ces fadaises. Voylà une plaisante façon de connaître notre nation. J'aimerois autant juger de l'Italie par la trouppe italienne qui est à Paris.
Je voudrais pouvoir porter dans votre parnasse royal la comédie de madame Denis. C'est une terrible affaire que de faire huit cents lieues d'allée et de venue, à mon âge, avec les maladies dont je suis lutiné sans relâche. Un jeune homme comme vous peut tout faire guaiment pour les belles et pour les rois,
Il n'y a au monde que Federic le grand qui pût me faire entreprendre un tel voiage. Je quitterois pour luy mon ménage, mes affaires, madame Denis, et je viendrois en bonnet de nuit voir cette tête couverte de lauriers. Mais mon cher enfant j'ay plus besoin d'un médecin que d'un roy. Le roy de Sardaigne a envoyé chercher l'abbé Nollet par une espèce de maître d'hôtel qui luy donnoit des indigestions sur la route; il faudrait que le roy de Prusse m'envoiast un apoticaire. Vous me faites quelque plaisir en me disant que mon cher Isac a des vapeurs. Je mettrais les miennes avec les siennes. On dit que Monsieur Darget n'est pas encor consolé. Ma tristesse n'ira pas mal avec sa douleur. Je me remettrois à la phisique sous mr de Maupertuis, je cultiverois l'italien avec M. Algaroit, je m'égaierois avec vous. Mais que ferais-je avec Le roy?
V.