Je relis le Bréviaire des Français, je remercie mille fois mon cher et respectable confrère.
Je vous rends grâce, en qualité d'homme, de ce que vous prenez le parti de l'humanité contre ce barbare système du comte de Boulainvilliers qui, se croyant descendu d'Attila, voulait que le monde fût partagé en brigands cantonnés dans des châteaux et en esclaves errants dans des campagnes. Vos réflexions sur les croisades sont d'un philosophe, celles sur le concordat, d'un homme d'état. Je voudrais bien savoir pourquoi vous dites que Du Bellay fut un des premiers qui s'avisa de dépouiller la pucelle de sa sainteté miraculeuse. Il me semble que Monstrelet en avait déjà parlé très humainement. Il la traite de fille d'hôtellerie qui montait les chevaux à cru, et faisait apertises que filles n'ont point accoutumé de faire. En effet son courage est le plus grand miracle; en fallait il d'autre?

Je ne peux me fâcher contre vous quand vous prétendez que notre histoire est aussi intéressante que la romaine, Somnium optantis. Nous sommes des marionnettes grossières sur un petit théâtre. Les Romains jouèrent sur le théâtre de l'univers. Il nous sied bien, à nous qui avons été une de leurs provinces, d'oser nous égaler à nos maîtres. Les monuments qu'ils ont daigné nous laisser attestent encore leur grandeur et notre barbarie. L'Europe vaut mieux aujourd'hui: d'accord; mais nul peuple n'approche du peuple romain. Il a manqué à ce peuple vainqueur et législateur des annales telles que les vôtres; mais quoique nous vous ayons, croyez que la grande chambre ne vaut pas le capitole et que Guyot de Reversau n'approche pas de Cicéron.

Mais, à propos de Cicéron, voyez donc, je vous en conjure, quelque chose de mon Catilina.

Mme Du Châtelet, cette nuit, étant à son secrétaire, et griffonnant dex xx a eu un petit besoin; c'est qu'elle est accouchée sur le champ. Newton en in quarto était à terre; et la mère s'est allée coucher pour la forme. Je n'écris point cette aventure à mme Du Deffand, je vous supplie de l'en instruire. Mme Du Châtelet lui fait, comme à vous, les plus tendres compliments. Je vous demande en grâce de me ménager une place dans la cour de mme Du Deffand, et de me conserver vos bontés. Vous savez combien elles me sont chères. Je veux être aimé d'un homme qui fait honneur à son siècle.

A Lunéville, 4 septembre [1749]