A Versailles, ce 3 avril [1745]
Vous pourriez, monsieur, me dire comme Horace: Tam rarò scribis, ut toto non quater anno.
Ce ne serait pas la seule ressemblance que vous auriez avec ce sage aimable: il a pensé quelquefois comme vous dans ses vers; mais il me semble que son cœur n'était pas si sensible que le vôtre. C'est cette extrême sensibilité que j'aime; sans elle vous n'auriez point fait cette belle oraison funèbre dictée par l'éloquence et la tendre amitié. La première façon dont vous l'aviez commencée me paraît sans comparaison plus touchante, plus pathétique, que la seconde; il n'y aurait seulement qu'à en adoucir quelques traits, et à ne pas comprendre tous les hommes dans le portrait funeste que vous en faites: il y a sans doute de belles âmes, et qui pleurent leurs amis avec des larmes véritables. N'en êtes vous pas une preuve bien frappante, et croyez vous être assez malheureux pour être le seul qui soyez sensible? Ne parlons plus de La Fontaine; qu'importe qu'en plaisantant on ait donné le nom d'instinct au talent singulier d'un homme qui avait toujours vécu à l'aventure, qui pensait et parlait en enfant sur toutes les choses de la vie, et qui était si loin d'être philosophe? Ce qui me charme surtout de vos réflexions, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me communiquer, c'est cet amour si vrai que vous témoignez pour les beaux arts; c'est ce goût vif et délicat qui se manifeste dans toutes vos expressions. Venez donc à Paris; j'y profiterai avec assiduité de votre séjour. Vous serez peut-être étonné de recevoir une lettre de moi, datée de Versailles. La cour ne semblait guère faite pour moi; mais les grâces que le roi m'a faites m'y arrêtent, et j'y suis à présent plus par reconnaissance que par intérêt. Le roi part, dit on, les premiers jours du mois prochain, pour aller nous donner la paix à force de victoires. Vous avez renoncé à ce métier qui demande un corps plus robuste que le vôtre, et un esprit peu philosophique: c'est bien assez d'y avoir consacré vos plus belles années. Employez, monsieur, le reste de votre vie à vous rendre heureux; et songez que vous contribuerez à mon bonheur quand vous m'honorerez de votre commerce, dont je sens tout le prix.